Affaire Bolloré : « La procédure pourrait durer dix ans »

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Selon Thierry Dal Farra, avocat spécialisé en droit pénal des contrats publics, et associé du cabinet UGGC Avocats, les délits dont Vincent Bolloré est soupçonné seront délicats à prouver par la justice.

Alors que Vincent Bolloré et deux de ses collaborateurs ont été mis en examen le 25 avril pour « corruption d’agents étrangers dépositaires de l’autorité publique », « abus de biens sociaux » et « faux et usage de faux », l’avocat français Thierry Dal Farra revient pour Jeune Afrique sur la qualification des faits reprochés à l’homme d’affaires français et sur la procédure engagée.

Auteur de nombreux articles sur le délit de favoritisme dans les marchés publics, Thierry Dal Farra a, tout au long de sa carrière, conduit de nombreux dossiers de défense de hauts fonctionnaires devant les juridictions répressives dans le cadre de la protection fonctionnelle des agents publics.

La peine maximum encourue est de dix années d’emprisonnement et d’un million d’euros d’amende

Jeune Afrique : Parmi les trois chefs d’accusation qui ont valu à Vincent Bolloré d’être mis en examen, il y a celui de « corruption d’agents étrangers dépositaires de l’autorité publique ». Que recouvre cette disposition, d’apparition récente ?

Thierry Dal Farra : En effet, ce délit a été introduit dans le code pénal (art. 435-3) en 2000, à la suite de la ratification par la France, trois ans plus tôt, d’une convention de l’OCDE. Auparavant, un citoyen français coupable d’un acte de corruption sur un agent étranger à l’étranger ne pouvait être poursuivi en France pour ces faits.

La peine maximum encourue pour corruption active d’agent public étranger est aujourd’hui de dix années d’emprisonnement et d’1 million d’euros d’amende.

À quelles conditions le délit est-il constitué ?

La corruption est le fait d’accorder un avantage personnel à quelqu’un dans l’espoir qu’il vous accordera en retour un avantage relevant de sa fonction. C’est un pacte entre deux personnes, il faut donc démontrer un lien entre l’avantage personnel consenti et celui obtenu en retour.

Si l’on en croit les quelques éléments que la presse a laissés transparaître, les juges devront donc réunir des éléments qui permettent de dire que, d’un côté, l’agence de communication mise en cause [Havas, filiale de Bolloré] a sous-facturé ses prestations, et qu’en contrepartie les bénéficiaires [au Togo comme en Guinée] ont exercé une influence qui a permis l’octroi de contrat de concessions portuaires.

La sous-facturation d’un service est très difficile à démontrer

Est-il difficile de démontrer de telles pratiques?

Extrêmement difficile. Par nature, un acte de corruption ne fait pas l’objet d’un contrat écrit, ni même d’échanges explicites.

D’autre part, la sous-facturation d’un service est très difficile à démontrer. On ne pourrait l’établir que s’il existait suffisamment de références objectives pour déterminer ce que peut coûter une campagne électorale, une campagne de presse, ou éventuellement si l’on peut comparer les tarifs horaires des consultants engagés avec ceux habituellement pratiqués par la profession. Mais ces données sont très relatives.

Pour ajouter à la difficulté, il faut également prouver la motivation de la sous-facturation. On peut très bien sous-facturer un service dans l’espoir de s’introduire sur un marché qui permettra par la suite à l’entreprise d’engranger d’autres contrats. Ou même, plus simplement, par erreur sur l’évaluation des charges ou le volume des prestations attendues par le client.

Selon des informations révélées par le quotidien Le Monde, les enquêteurs du pôle financier disposeraient d’éléments montrant, notamment, que les dépenses engagées à l’époque par Euro RSCG pour la campagne du président Faure Gnassingbé, réélu en 2010, sont supérieures à la facturation de ces services. Est-ce suffisant pour caractériser la sous-facturation ?

C’est un indice supplémentaire… mais ça ne suffit pas en soi. L’agence de communication peut très bien apporter, demain, une explication qui convainque les juges.

Tâche d’huile sur tout un groupe

Dans quelle mesure le groupe Bolloré peut-il être juridiquement impacté ?

On ne sait pas, pour l’instant, si des sociétés du groupe ont été mises en examen en tant que personnes morales. Toutes ces sociétés dont le siège se trouve en France sont susceptibles de l’être [s’il existe des charges suffisantes]. Ce sont les juges d’instruction qui apprécieront.

Si certaines d’entre elles étaient un jour condamnées, elles pourraient, dans certains cas, être interdites d’accès aux marchés publics pendant une certaine période. De telles affaires sont sérieuses, elles peuvent très bien faire tâche d’huile sur tout un groupe.

Combien de temps pourrait durer la procédure avant que l’on connaisse le fin mot de l’histoire ?

Cela pourrait bien prendre entre huit et dix ans. L’instruction est longue et la justice dispose de relativement peu de moyens. Il faudra compter entre trois et quatre ans du début de l’instruction à un jugement de première instance – si des prévenus sont renvoyés devant le tribunal correctionnel. Puis encore deux ou trois ans en cas d’appel et encore un ou deux ans supplémentaires en cas de pourvoi en cassation.

Jeune Afrique