Adresse solennelle à Monsieur Faure Gnassingbé président de la république togolaise

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Par Richard ABOKI,
membre du Conseil des Sages de la Dynamique Monseigneur KPODZRO

ADRESSE SOLENNENLLE A MONSIEUR FAURE GNASSINGBE
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE TOGOLAISE

MONSIEUR LE PRESIDENT,

Nous comprenons aujourd’hui la détresse dans laquelle vous a plongé l’élection présidentielle du 22 février 2020. Quitter le pouvoir, sublimer une défaite pour mieux se construire soi-même n’est pas chose aisée. Nous qui sommes de la génération de vos ascendants, nous pouvons vous dire combien il est difficile d’échouer à un examen, à un recrutement professionnel ou de se faire éconduire par une belle femme. Mais ce sont les expériences de la vie que l’on ne comprend que tardivement et que résume de façon admirable une phrase célèbre d’un philosophe arabe qui a vécu du XIème au XIIème siècle, OMAR KAYYAM (1050-1123): je cite, « L’expérience est un soleil qui se lève quand l’homme va se coucher ».

Mais ces paroles n’expriment pas une vérité éternelle. En écho à OMAR KAYYAM, Pierre Corneille, auteur du CID (1682), l’âme intellectuelle de la ville de Rouen qui m’a adopté depuis 1986 et qui m’a beaucoup donné, écrivait au XVIIème siècle cette phrase non moins célèbre :
Je cite : « Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années ».

MONSIEUR LE PRESIDENT,
Vous êtes une âme bien née puisque vous êtes né sous les ors et les lambris dorés de la République, d’un père, chef militaire et Président de la République qui vous a fait connaitre la politique, les hommes
avec leurs qualités et leurs défauts, le monde extérieur avec les forces visibles et invisibles qui le gouvernent. Dans ce monde, il y a de la rectitude mais aussi du mensonge, de la vilénie et que sais- je
encore ?

Mais quels que soient nos origines familiales, nos trajectoires intellectuelles et professionnelles et nos mérites, nous devons en toute circonstance savoir raison garder, surtout lorsqu’il est question de la vie en communauté, que les hommes ont toujours des dettes les uns vis-à-vis des autres.

A cet égard je me rappelle une phrase de Jean- Marie DOMENACH, professeur de philosophie à l’Ecole Polytechnique de Paris et à L’institut d’Etudes Politiques de Grenoble que j’ai eu l’immense honneur de côtoyer au début des années 60 et qui dans sa critique du structuralisme écrivait ceci : je cite, « Ce n’est pas moi qui, à chaque instant, invente la vie. L’impersonnel est un élément structurant du réel ».

MONSIEUR LE PRESIDENT,
Toutes ces pensées nous invitent à prendre la mesure de la complexité de la vie et du monde et à construire notre existence et celle de notre entourage avec lucidité et modestie. Sinon comment
comprendre que dans certaines associations philosophiques on peut passer du statut de Vénérable Maître à celui de Couvreur sans aucun déshonneur ?

Vous n’êtes pas déshonoré pour avoir perdu les élections. Non, vous devenez une sentinelle dans la cité.
Vous devenez plus grand qu’un Président c’est à dire un homme. Dans Antigone de Sophocle, un des pères de la tragédie grecque du Vème siècle avant J.C., il nous est servi cette phrase admirable ; je cite :
« C’est lorsque je ne suis plus rien que je deviens un homme ».
Mais vous, vous serez un ancien Président, ce n’est pas rien, et en même temps, vous serez un homme car dans notre tradition politique de ces 50 dernières années, être un ancien Président, le premier de notre histoire, c’est être un homme couvert de l’épaisseur de l’histoire. Rappelez-vous les conditions calamiteuses dans lesquelles vous avez CONQUIS le pouvoir en 2005 et que vous-même avez regrettées en privé pour avoir été le jouet d’une histoire dont la dimension tragique a été très tôt perçue par un de vos frères GNASSINGBE lorsqu’il déclara à nos généraux putschistes :
« Pourquoi cherchez-vous à mettre une pâte chaude dans les mains de mon frère ».

MONSIEUR LE PRESIDENT,
En quinze ans de pouvoir vous n’avez pas totalement démérité : des acquis certains en matière d’infrastructure économique sur fond de prévarication, de prise d’intérêt illégal et de corruption, d’accroissement de la dette publique. Sous vos trois mandats la croissance moyenne du PIB réel par tête d’habitant a été de 0, 76% de 2006 à 2010, 2,66 % de 2011 à 2015 et 2,15 % de 2016 à 2020, compte non tenu des effets de la pandémie sur la création des richesses dans notre pays.

Vous avez du mal à vous arracher à une gouvernance globale médiocre. Appliqué au Togo, l’indice POLITY 2 sur la bonne gouvernance octroie à notre pays 37 points loin derrière le Bénin et le Ghana avec respectivement 84 et 89 points.

Quant à la promotion des investissements directs étrangers, elle se heurte à la faiblesse de la confiance que votre régime inspire aux hommes d’affaires : 2,5% du PIB en 2006, 5,2% des investissements bruts (FBCF) en 2015 et 1% du PIB en 2017.

Dans ce domaine, ces trois dernières années n’augurent rien de bon avec la crise politique qui secoue notre pays depuis 2017 et que vous traitez par-dessus la jambe au grand dam d’ADEBAYOR.

Et que dire du règne de la violence depuis 2005 ? Les Togolais ont-ils une dette de sang envers vous ?

D’où vous vient cet esprit sacrificiel qui n’épargne même pas les enfants bien que vous soyez père de famille nombreuse ? Pourquoi tant d’excès dans l’acharnement contre notre humanité, contre notre
dignité ? Quand on brûle nos marchés, quand on tire à balles réelles sur des manifestants aux mains nues, quand on abat des Togolais comme du gibier sous votre responsabilité de premier magistrat de la République, le Togo n’est plus un Etat moderne mais un Etat de nature où nous vivons tous dans l’incertitude.

Notre vie est rythmée par les crises politiques et la violence. Dans de telles conditions vous ne pouvez plus continuer à rester à la tête de notre pays. Beaucoup de sang versé depuis longtemps, des vies
brisées, des rêves de jeunesse évanouis, des exils involontaires et douloureux, une violence ethnique symbolique qui corrompt les rapports humains.

Il est donc temps de vous interroger sur le sens de votre présence à la tête de notre pays. Les Togolais vous aiment et vous demandent de leur montrer ce que vous savez faire. C’est pourquoi ils votent contre vous à chaque élection présidentielle à savoir : en 2005, 2010 et 2015. Le 22 février 2020, ils ont plébiscité Agbéyomé KODJO pour marquer de façon irréversible la fin de votre aventure personnelle à la tête de notre pays.

La précipitation de la proclamation des résultats par la CENI en 2020, contrairement aux années précédentes où il a fallu en moyenne deux ou trois jours, montre à suffisance que celle-ci ne disposait pas de tous les procès-verbaux des bureaux de vote et que les résultats ont été fabriqués en toute hâte pour conjurer une défaite annoncée.

Voici donc venu le temps du passage du Togo à une ère nouvelle, celle d’une République plus fraternelle, plus solidaire et plus humaine. Pour ce faire, nous devons veiller d’abord sur l’avenir de la jeunesse et contribuer à la prospérité de nos concitoyens dans le respect des lois de la République et des valeurs morales que requièrent la gestion du pouvoir et la vie en communauté.

La loi, c’est le plus petit dénominateur commun qui nous rassemble par-delà nos origines ethniques, sociales, religieuses et familiales. C’est pourquoi, nous devons bannir la violence et les fraudes
électorales de nos rapports politiques.

Je voudrais vous inviter, toute violence et tout parjure cessants, à réparer d’abord moralement les dégâts des violences qui ont secoué notre pays ces dernières semaines par une reconnaissance officielle
de la victoire de Messan Agbéyomé KODJO et à lui transmettre le pouvoir dans l’intérêt supérieur du Peuple Togolais.

Vous connaissez bien votre successeur élu, Messan Agbéyomé KODJO à qui vous lient des relations de parenté et d’alliance. Vous êtes mariés dans la même maison. Vos enfants ont le même sang dans les veines. Les humeurs du corps ont des effets cosmiques insoupçonnés. Il est temps de faire triompher la raison. Rien n’est perdu pour personne. Bien au contraire, nous gagnons tous à faire triompher la Raison et à bâtir une société nouvelle.

Puisse Dieu vous accorder la paix intérieure et vous montrer le chemin de l’amour des Togolais, de tous les Togolais. « Si Dieu nous a donné son fils que ne nous donnerait-il encore ? ».

Richard ABOKI,
auctoritas vetustatis, membre du Conseil des Sages de la Dynamique Monseigneur KPODZRO-

Source : icilome.com