2005 : Et la CEDEAO plongea le Togo dans la violence. Bilan, 1000 morts

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2005 : Et la CEDEAO plongea le Togo dans la violence. Bilan, 1000 morts

Ils avaient pour nom :

  • Adrienne Diop, commissaire à la CEDEAO;
  • Aichatou Mindaoudou, ministre des Affaires étrangères du Niger;
  • Mai Maga Boucar, représentant de la CEDEAO au Togo;
  • Mamadou Tandja, Président du Niger et Président en exercice de la CEDEAO;
  • Olusegun Obasanjo, Président du Nigeria;
  • Jacques Chirac, Président de la France;
  • Blaise Compaoré, Président du Burkina Faso;
  • Abdoulaye Wade, Président du Sénégal;
  • Mohamed Ibn Chambas, Président de la commission de la CEDEAO.

C’est l’ensemble de ces responsables africains et français qui ont plongé le Togo dans la violence la plus grave de son histoire entre février et avril 2005, à la suite du décès du Général Gnassingbé Eyadema qui a régné d’une main de fer sur le pays durant 38 ans.

Et pourtant face à ce tournant histoire de l’histoire du Togo et de la sous-région, la CEDEAO avait l’unique occasion de proposer une solution viable en fermant définitivement la longue page du règne catastrophique des Gnassingbé. Mais de d’Abuja à Paris en passant par Ouagadougou et Niamey, les intérêts personnels des pays et leurs dirigeants de l’époque ont conduit la CEDEAO, du moins ces dirigeants de l’époque, à opter pour la plus mauvaise décision, celle de soutenir une succession de père en fils malgré les mises en garde du ministre de l’Intérieur d’alors, François Akila-Esso Boko qui a dû jeter l’éponge pour ne pas endosser la responsabilité du massacre programmé. Le bilan était de plus de 1000 morts selon la FIDH, environ 500 selon un rapport d’enquête des Nations Unies dirigé par le sénégalais Doudou Dieng.

Plus de 12 ans après, la CEDEAO, comme un médecin incapable d’administrer une thérapie malgré un diagnostic clair du patient, se retrouve de nouveau au chevet du malade chronique « Togo » qui risque de contaminer toute la région. Les dirigeants actuels de l’espace seront-ils pour une fois lucides en tirant les leçons du faux pas de 2005 qui a entrainé ce pays dans un bain de sang historique et des lendemains incertains ? Au moment où les chefs d’Etat de la CEDEAO se penchent sur la longue, grave et lancinante crise togolaise, il est opportun de revenir sur les errements de cette institution au Togo en 2005. Devoir de mémoire.

Olusegun Obasanjo – Jacques Chirac, l’axe du mal

Olusegun Obasanjo est l’un des acteurs majeurs de la fausse solution de la CEDEAO sur le cas togolais. Au lendemain du décès du Général Gnassingbé Eyadema et du coup d’Etat des FAT (Forces armées togolaises) qui venaient de faire allégeance à son fils Faure Gnassingbé, en violation fragrante des dispositions constitutionnelles, il était le premier à prendre la parole pour condamner ce coup de force et menacer d’envoyer des militaires nigérians au Togo pour rétablir l’ordre constitutionnel. Cette position ferme avait été très appréciée par les forces démocratiques togolaises qui avaient pris d’assaut les rues de Lomé et certaines villes du pays pour exiger le retour à l’ordre constitutionnel. Cet enthousiasme n’aura été que de courte durée. Paris qui considère le Togo comme sa zone d’influence, mieux, son trophée de guerre depuis 1914, n’a pas apprécié les propos va-t-en guerre du dirigeant nigérian. Chirac, Président français et ami personnel de feu Gnassingbé Eyadema, fidèle à la mémoire de ce dernier mais aussi aux magouilles qu’ils ont opérées ensemble sur le continent, s’est empressé de calmer les ardeurs d’Obansanjo.

Pour ramollir la position du géant de l’Afrique de l’Ouest, Jacques Chirac fait miroiter au Nigeria une place au Conseil de Sécurité et une remise de dette conséquente en sa faveur. Olusegun Obasanjo, en bon Yoruba ayant le sens des affaires, a vite mordu à l’hameçon en sacrifiant rapidement le petit Togo sur l’autel de ses intérêts. Celui qui menaçait de faire intervenir une force militaire pour rétablir l’ordre constitutionnel, a commencé par bégayer, mieux, il a fait un rétropédalage spectaculaire. La suite est connue de tout le monde. Le Général AssaniTidjani, l’un des cerveaux du coup d’Etat de 2005 et d’autres barons se sont occupés des détails. De la France, le Nigeria n’a pu obtenir le siège au Conseil de Sécurité de l’ONU parce qu’un la réalisation d’une telle promesse ne dépendait pas uniquement de la France.

En revanche, une fois Faure Gnassingbé installé au pouvoir au prix d’un bain de sang, la France a accordé au Nigeria une remise consistante de sa dette bilatérale. Parfois les crises en Afrique ou dans le monde se règlent sur des détails pareils, sur le dos des principes, des valeurs et des peuples pour faire court. Le Nigeria n’a eu aucun remords à l’époque pour sacrifier le Togo et obtenir une remise de dette de la France en 2006.

Mamadou Tandja – Aichatou Mindaoudou entre corruption et prostitution

Président en exercice de la CEDEAO en 2005, Mamadou Tandja et sa ministre des Affaires étrangères Aichaitou Mindaoudou se sont littéralement servis de la crise togolaise pour garnir leurs comptes en banque. On a encore souvenance des déclarations scandaleuses du sieur Tandja, son appui sans faille aux militaires putschistes de Lomé et sa volonté de faire organiser la présidentielle au mois d’avril malgré un climat de violence inouïe. Très agitée, sa ministre des Affaires étrangères Aichatou Mindaoudou était dans toutes les sauces dans la crise togolaise. Le gain pour elle et son patron Tandja était colossal et les aspirations du peuple togolais n’avaient aucune importance.

Dans un jeu de rôle bien défini, ce duo et leur sous-fifre Mai Manga Boucar en poste à Lomé ont trainé la CEDEAO dans la boue et montré les limites de l’institution. Mamadou Tandja, après avoir poussé le peuple togolais dans le gouffre, s’en est bien tiré avec une résidence luxueuse érigée par une entreprise togolaise proche du pouvoir à Niamey et des comptes bancaires certainement bien garnis. Quant à sa ministère des Affaires étrangères, elle a été aussi bien servie et même au-delà. Il se raconte dans les arcanes du pouvoir de Lomé qu’à un moment donné, elle a dû livrer entre deux réunions dans un hôtel à Abuja ce qu’elle avait de plus cher (suivez nos regards). Elle n’avait pas hésité à traiter le ministre de l’Intérieur de l’époque, François Boko, d’irresponsable lorsque ce dernier, au vu du massacre qui se préparait, avait publiquement demandé de suspendre le processus électoral. Voilà jusqu’à quel niveau certains ont bradé l’image de la CEDEAO. Et depuis, celle qui a brisé tous les codes de la diplomatie est devenue une habituée du palais de Lomé, même après avoir curieusement rebondi à l’ONUCI en Côte d’Ivoire.

Ibn Chambas, le plus mafieux des diplomates en Afrique

C’est l’un des symboles de la corruption dans les milieux diplomatiques en Afrique de l’Ouest depuis des années. Il est surprenant qu’après toutes ses magouilles qu’il continue d’ailleurs, ce monsieur ait pu être nommé représentant personnel du Secrétaire Général de l’ONU en Afrique de l’Ouest.

La seule évocation de son nom suscite dédain et indignation au sein de la population togolaise. Il était en 2005 au cœur de tout le scénario qui a permis d’imposer Faure Gnassingbé à la tête du pays. Gracieusement servi par le régime, il ne rate aucune occasion de voler au secours du pouvoir de Lomé, comme il l’a encore récemment fait sur une radio à Accra à la suite des évènements du 19 août 2017. Pour lui le Togo ne traverse aucune crise et la gouvernance de son ami et bienfaiteur Faure Gnassingbé est la meilleure du monde. Toujours dans l’ombre, il continue de tirer les ficelles dans la crise togolaise, naturellement au profit du régime. Il prend d’ailleurs part au sommet CEDEAO-CEEAC qui s’est ouvert hier dans la capitale togolaise. Il profitera de son séjour et de son manteau onusien pour faire du lobbying pour ses amis de Lomé actuellement en difficulté. Aïchatou Mindaoudou et Ibn Chambas, ces deux diplomates corrompus ont vainement tenté de revenir sur leur lieu du crime depuis les événements du 19 août 2017. L’une à la tête d’une mission de la Francophonie et l’autre avec son manteau de représentant personnel du Secrétaire Général de l’ONU en Afrique de l’Ouest. Quel culot ! Ces deux comparses ont été heureusement récusés par la Coalition des 14 partis.

Comment peut-on finir cette liste sans évoquer Adrienne Diop, à l’époque en poste au siège de la CEDEAO à Abuja? Même si elle a, depuis disparu de la circulation, les Togolais n’ont pas oublié le rôle trouble joué par cette sénégalaise dans la crise de succession en 2005. Enfin, on pourra ajouter Abdoulaye Wade et Blaise Compaoré, qui ont soutenu l’ascension de Faure Gnassingbé au pouvoir, le premier rêvant en faire de même avec son fils Karim Wade à la tête du Sénégal, le second par rapport à des intérêts liant son régime à celui de Lomé.

Le seul dans ce lot à oser dire non était Alpha Omar Konaré, Président de la commission de l’UA (Union africaine). Fort de son statut d’ancien chef d’Etat du Mali, il a pris ouvertement position contre le schéma suicidaire imposé au peuple togolais par la CEDEAO à l’époque. Une position qui n’a pas été du goût de ses collègues qui ont œuvré à son départ de la tête de la Commission.

Entre corruption, marchandage et prostitution, la CEDEAO en 2005 s’est totalement fourvoyée dans la crise togolaise à travers l’ensemble des acteurs que nous venons de citer. En imposant Faure Gnassingbé à la suite de son père au prix d’un millier de morts, elle a raté une occasion historique de tourner la page d’une des pires dictatures de la région. En revenant aujourd’hui sur les lieux du drame, pour ne pas dire du crime, les Togolais et au-delà continuent d’espérer que les acteurs d’aujourd’hui vont s’inspirer des erreurs et des faux pas de 2005 pour régler une fois pour de bon cette crise politique qui découle du refus de l’alternance par le régime en place et la gourmandise d’un homme qui veut s’offrir un bail à vie à la tête de son pays après 38 ans de règne sans partage de son père.

Faut-il le rappeler, le Togo reste le seul pays de la région à n’avoir pas à ce jour signé le protocole de la bonne gouvernance de la CEDEAO qui limite le mandat présidentiel à deux. Continuer par traiter la gangrène togolaise avec une thérapie approximative serait entretenir un monstre qui, à terme, risque de déstabiliser toute la région. La CEDEAO joue sa crédibilité à Lomé, mais reste à savoir si ceux qui ont proclamé qu’ils ne sont pas un syndicat de chefs d’Etat vont dire la vérité à l’homme « Faure » au pouvoir anachronique de Lomé.

Source : L’Alternative No.723 du 31 Juillet 2018

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