Un médecin interpelle le gouvernement sur l’état catastrophique des hôpitaux et le décès de 2 professeurs agrégés de médecine dans des conditions lamentables

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Les deux médecins décédés

« Monsieur le Ministre, les morts évitables, nous les subissons chaque jour et cela devient de plus en plus insupportable », voilà en substance le contenu de la lettre ouverte envoyée par Dr Kofi Takali au ministre de la Santé et de la Protection civile.

Lettre ouverte à Monsieur le Ministre de la Santé et de la Protection sociale

Votre nomination, le 23 juin 2015, à la tête du Ministère de la Santé et de la Protection Sociale, a suscité un grand espoir au sein de la communauté médicale. Votre réputation d’excellent médecin, votre connaissance du milieu hospitalier dont vous êtes issu, la confiance de vos pairs, ont permis de penser que vous aviez les capacités nécessaires pour réussir dans cette mission ardue de redynamisation du système de santé en complète déliquescence.

Monsieur le Ministre, à l’inverse de vos prédécesseurs, vous avez eu deux années d’accalmie ; le Syndicat National des Praticiens Hospitaliers du Togo (SYNPHOT) a respecté votre rang au sein de la corporation médicale et n’a pas souhaité porter ombrage à votre mandature. Aucune action n’a été menée par ce grand syndicat depuis votre nomination. Vous aviez donc deux années d’accalmie à mettre à profit pour réussir votre mission et entretenir l’espoir.

Aujourd’hui, que retenir de vos deux années à la tête du ministère ? Personnellement, en dehors de votre projet de contractualisation, qui tarde à voir le jour (il fallait s’y attendre), je n’ai rien vu. Les hôpitaux sont toujours aussi mal équipés, les malades toujours autant démunis devant l’annonce de leur maladie et de tout ce qu’il leur faut débourser avant de se faire soigner, il n’y a pas de transport médicalisé digne de ce nom, les laboratoires sont obsolètes, les appareils de radiologie en panne, les services des urgences démunis, les réanimations n’existe que de nom. Bref, deux ans après, l’espoir a tour à tour laissé place à l’inquiétude, à l’interrogation, à la désolation et à la consternation.

Et cette consternation, le corps médical l’a encore vécue ces dernières semaines à travers l’histoire tragique de notre collègue, votre collègue, professeur d’histologie embryologie, de génétique et de santé de la reproduction, le seul d’ailleurs qui était encore en activité au Togo (une grande perte pour la nation), mort le 29 mai dans sa 50e année. Lorsqu’il a eu son malaise aucun transport médicalisé n’était disponible pour son acheminement à l’hôpital. Il fut transporté en taxi depuis son lieu de malaise jusqu’au CHU Sylvanus Olympio. Comprenons- nous, lorsque je parle de transport médicalisé, je fais référence à un véhicule de transport sanitaire muni du minimum pour commencer une réanimation (oxygénation, prise de voies veineuses etc…). Je ne parle pas des véhicules des sapeurs pompiers qui ne sont guère plus équipés que ma voiture personnelle. L’accident vasculaire cérébral (AVC) qui a frappé quelques jours après un autre collègue, professeur de pédiatrie, a encore mis en lumière cette défaillance des transports médicalisés. Son transfert du CHU Campus au CHU Sylvanus Olympio était des plus pittoresques : l’ambulance du CHU Campus n’étant pas équipée, il a fallu transporter à bout de bras un gros obus d’oxygène dans la vieille ambulance; pour lui permettre de respirer durant le transfert. Les ambulances, contrairement à ce que vous semblez penser, ne servent pas au Togo qu’à « transporter du charbon »… (le ministre déclare souvent que le secteur de la santé n’a pas besoin de financement et que le problème est exclusivement un problème de gestion. Et de citer l’exemple d’un hôpital de l’intérieur du pays dont l’ambulance servait à transporter du charbon).

Au CHU SO, la réanimation médicale ne disposait d’aucun matériel de monitoring pour surveiller les fonctions vitales du 1er confrère, aucune ampoule d’adrénaline pour soutenir sa fonction cardiaque (les collègues se promenaient de service en service à la recherche d’ampoule d’adrénaline). Et son cœur a fini par s’arrêter, à jamais…

Le 2e confrère, lui, a eu « le privilège » d’être opéré par les collègues de neurochirurgie qui lui ont mis une valve pour drainer et décomprimer son cerveau inondé par une hémorragie. Faut-il préciser que cette valve est introuvable dans le circuit officiel ? Les collègues en disposent grâce au soutien de partenaires extérieurs. Une fois opéré, impossible de faire un scanner de contrôle, celui du CHU SO est en panne. Impossible de surveiller sa pression intracrânienne, il n’y a pas d’appareil de mesure de la pression intracrânienne, pas de neuro-réanimation. Quelle désolation. Quelles options s’offraient à ses médecins traitants pour le sauver ? L’évacuer dans un pays où la réanimation est accessible parce que l’équipement disponible, ou continuer à lui prodiguer des soins sans possibilité de surveiller ses paramètres, car notre réanimation est rudimentaire. Notre maître a rendu l’âme le dimanche 18 juin au CHU Sylvanus Olympio.

Les collègues annoncent que sur les 12 respirateurs de la réanimation polyvalente seuls 4 sont aujourd’hui fonctionnels. La maman d’une consœur qui a été opérée d’une péritonite et qui avait besoin d’un respirateur pour soutenir sa fonction respiratoire est même décédée la semaine dernière, faute de respirateur. Un enfant de 16 ans chez qui un diagnostic d’infarctus du myocarde a été posé est mort aussi parce que dans notre pays nous n’avons pas la possibilité de faire une coronarographie et de poser des stents. Un drame pour la famille et pour le corps des soignants… Faut-il préciser que sous d’autres cieux cet enfant aurait été sauvé ? Sous d’autres cieux, des médecins togolais font des coronarographies tous les jours et sauvent ce genre de patients tous les jours avec un matériel adapté et en état de marche.

Monsieur le Ministre, les morts évitables, nous les subissons chaque jour et cela devient de plus en plus insupportable. Au-delà de vos discours qui sont toujours très captivants et pleins de créativité, il est temps de penser à solutionner les maux du système de santé de notre pays. Soit, votre système de contractualisation peut constituer une piste si cela vous plaît, mais en attendant que cette réalité impacte positivement et durablement le système de santé, trouvez, de grâce, les moyens pour faire avancer la machine. Les Ghanéens ont un nouvel hôpital moderne, les Tchadiens, les Burkinabé, les Maliens, les Nigériens, les Sénégalais…. Actuellement ce sont les Ghanéens, ou les Maliens qui soignent nos patients souffrant de cancer (ils ont les appareils de radiothérapie). Ils ont tous hérité d’infrastructures hospitalières datant des indépendances (le CHU Sylvanus Olympio date des années 50) mais ont eu l’ambition pour leurs nations de mettre en place des structures dignes de notre époque. Quelle est votre ambition monsieur le Ministre, quelle est l’ambition du gouvernement ? Sommes-nous incapables de monter une nouvelle structure de 20 milliards FCFA pour sauver nos malades ? Pourtant, votre gouvernement construit une nouvelle Assemblée Nationale qui verra le jour en 2018 et qui va coûter 12 milliards FCFA aux contribuables… Certes, je vous le concède, vous n’êtes pas seul responsable. Pour des intérêts personnels, d’autres maîtres, professeurs de médecine ou chefs de service sont complices de ce système et refusent d’en dénoncer les nombreux manquements. Ils ferment les yeux et, en dépit du bon sens, acceptent cet état de déliquescence avancée. Par leur silence, ils mettent parfois en danger la vie des malades, violant ainsi le serment qu’ils ont un jour prononcé. Ils oublient que la roue tourne et qu’un jour ils pourraient à leur tour pâtir de cette situation inqualifiable.

Je lance alors ce cri du cœur aux honorables députés, aux collègues et à vous-mêmes monsieur le Ministre : « de grâce, ne laissez pas ce mandat social se terminer sans la décision de construction d’un vrai hôpital pour soigner nos populations et sauver des vies. De grâce pensez au peuple… »

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