TOGO : Max Heman " Il faudra carrément un changement. C’est la tête qui ne fonctionne pas. Le président Faure Gnassingbé doit démissionner"

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«Biens mal acquis». C’est le titre phare du dernier album du reggae-man togolais Max Heman. A l’heure où beaucoup d’artistes sont absents sur les nombreux problèmes sociopolitiques que traverse le pays, il est le seul à faire entendre la douleur du peuple. Il se prononce ici sur les récents évènements.

Deux augmentations du prix du carburant en l’espace d’un mois. Ça vous interpelle ?

Forcément. Ma réaction est une déception. En un rien de temps, augmenter deux fois le prix dans une société où les gens tirent déjà le diable par la queue n’est pas normal.

Depuis le début de la rentrée, les grèves se suivent. Les élèves sont dans la rue. Comment trouvez-vous ces mouvements d’humeur à répétition ?

Il faudra carrément un changement. C’est la tête qui ne  fonctionne pas. Le président Faure Gnassingbé doit démissionner. Pour qu’enfin le pays ait une nouvelle Constitution, qu’on mette tout à plat, qu’on ait une vraie équipe qui sait réfléchir sur les problèmes et les anticiper. Tout le monde voyait le truc de loin, mais personne ne voulait anticiper. Ce qui fait le plus mal, c’est de voir qu’aujourd’hui les gens continuent par mourir parce qu’ils réclament quelque chose. On ne peut dire que la veille où la presse annonce qu’un certain Gapéri est parti avec plusieurs milliards, le lendemain les gens manifestent spontanément, et que les militaires puissent tuer un civil parmi eux. Les revendications des enseignants ne datent pas d’aujourd’hui. Tout le temps, ce sont des fonds qui sont détournés. Je trouve qu’il y a une seule solution. On ne peut pas indéfiniment avoir un gouvernement de transition. Ça fait 11 ans qu’on est dans ce système de transition. Il faut faire les réformes, que le président Faure Gnassingbé quitte le pouvoir, que quelqu’un d’autre vienne avec une autre équipe et qu’on reconstruise le pays.

Hausse des prix des produits pétroliers, grève des enseignants. Il y a un paradoxe. Les artistes qui se disent aux côtés du peuple sont muets. Comment peut-on expliquer cela ?

J’invite d’abord tous les artistes à comprendre qu’ils font partie de la société civile, qu’ils sont la voix des sans voix. C’est vrai que les temps sont durs, ils sont obligés d’aller faire la courbette pour trouver à manger. Mais c’est honteux, ce n’est pas à eux de faire cela, ils doivent lutter. Ceux qui n’ont pas le courage, je les encourage ; et ceux qui le font déjà, je les motive, ils doivent vraiment lutter contre cela. Parce que nous, nous avons des armes pour lutter, nous avons la voix, elle peut porter loin. Je les convie à soutenir les populations, à ne pas seulement penser à ce qu’ils doivent manger tout de suite. Ils doivent vraiment faire le combat. L’artiste est là pour lutter pour les populations, aux côtés des populations. Ce sont elles qui nous aiment, qui nous soutiennent, ce sont elles qui reprennent en chœur ce que nous chantons et on dit que nous avons du succès. Nous sommes partie intégrante de cette population, de cette frange majoritaire qui est dans le dénuement total. Alors j’invite tous les artistes engagés ou non à prendre conscience, à arrêter de s’amuser, parce que l’heure est grave. Ils doivent comprendre que nous devons serrer les coudes pour demander à nos dirigeants de créer des institutions fortes.

Sur la scène musicale, il n’y a pratiquement pas d’artistes qui se disent engagés. Peut-on dire que les artistes ont démissionné?

D’une part, ce n’est pas la peur du régime ou une démission, c’est la peur d’avoir faim. Moi j’ai déjà connu cela, on t’assèche jusqu’au dernier degré. C’est vrai, apparemment, c’est une démission. Quand on te prive de tout et tu n’as rien, tu as peur d’être ridiculisé. Mais je crois qu’ils doivent être courageux, ils doivent regarder comme je fais et le faire. Il ne faut pas qu’ils se disent qu’ils en ont fait et que cela n’a rien donné. Chaque chose en son temps. Qu’ils se rappellent toujours que Mandela a fait 27 ans en prison pour une cause noble. Aujourd’hui, même si l’Afrique du Sud a quelques problèmes, il faut reconnaître que ce n’est plus ce que c’était. Et c’est à force de lutter. C’est avec abnégation que cela vient. On ne va pas se lever et lutter aujourd’hui pour avoir les résultats demain. C’est un combat de longue haleine.

Nous, nous sommes là, nous allons toujours nous battre. Je les appelle, je leur demande d’avoir juste du courage. On va se battre. On ne va tuer personne. Même si on nous tue, c’est pour une cause noble, c’est pour que nos enfants ne souffrent pas demain. Aujourd’hui l’Europe c’est bon, parce que certains sont morts pour qu’elle en soit ainsi. Nous, nous sommes prêts à ça. On dit qu’on meurt toujours de quelque chose. La patrie ou la mort, nous vaincrons.

L’Alternative

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