Togo, Expropriation des terres dans la zone de Lomé II : Des quartiers riverains de la Présidence au supplice du pouvoir

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Des murs en banco avec des toitures désuètes. Au carrefour GTA, à quelques encablures de la direction de Togotelcom, Massouhoin, un quartier situé au bord de la route nationale N°1, offre un paysage d’un hameau. Dans un cadre répugnant, se trouve une Ecole primaire publique. Construite en claie et en bambou, l’Epp de Massouhoin a tout ce qui ressemble à un taudis. Presque rien comme plateau technique, avec des infrastructures à l’image d’un atelier de mécanique auto, un poste de santé sert Massouhoin et les quartiers environnants.

Comme ce quartier, Atchanté, Klévé, Kélégouvi sont aussi au supplice. Leurs habitants n’ont pas accès à l’eau potable. Pas d’électricité. C’est la misère. Et pourtant, ce sont leurs terres qui ont servi à construire le Centre hospitalier régional Lomé-Commune, le stade de Kégué, le siège de la Ftf, la nouvelle Présidence de la République, la résidence Lomé II, entre autres.

« Notre domaine a été décrété d’utilité publique depuis 1977 sans aucune décision judiciaire. Depuis lors, aucune mesure relative à la procédure d’expropriation n’a été prise ; alors que dans le décret déclarant la zone d’utilité publique, notamment à ses articles 2 et 3, il a été demandé aux ministres concernés de prendre par voie d’arrêté les autres mesures relatives à la procédure d’expropriation. Après un aperçu, l’Etat a failli ; fort de ce constat, l’Etat lui-même a créé une commission ad hoc de réflexion en janvier 2012 avec pour mission d’apaiser les cœurs et trouver une issue définitive à ces problèmes », explique-t-on au niveau des collectivités.

En fait, ces quatre (04) quartiers sont confrontés depuis 40 ans à une affaire d’expropriation qui les oppose au gouvernement. Au sud de l’État-major à Agoenyivé, au nord de Lomé II, à l’ouest par la route nationale N°1 (Lomé-Dapaong), sise une bande de terrain qui est, depuis 1977, au cœur d’un litige entre ses propriétaires et les autorités. Sur une superficie de 900 ha, les 450 ha, soit la moitié de cette bande qui a été rétrocédée à ses propriétaires, continuent d’être occupés, exploités et morcelés arbitrairement par des individus se réclamant du pouvoir, selon les collectivités. Aujourd’hui, il ne reste que 352 ha, mais qu’on leur refuse d’exploiter.

A plusieurs reprises, les 76 collectivités victimes de cette expropriation ont crié leur ras-le-bol. Mais le morcellement arbitraire installations de nouvelles structures se poursuit.Cette zone est devenue une sorte de baleine exposée à des individus haut gradés ; chacun vient chercher sa part. Tout dernièrement à Massouhoin, une bande de terre a été lotie et baillée à une personnalité qui voulait y installer une société ; par qui ? Nul ne le sait, à en croire les habitants à qui l’ordre a été intimé de déguerpir. « Il y a quelques jours, on a été convoqué au ministère de la Décentralisation concernant 2 hectares 7 ares dans notre localité Massouhoin au niveau de la route d’Agoè. Il nous a été dit que cette superficie a été louée à quelqu’un et donc de quitter les lieux immédiatement », a confié Gervais Vessou, un des porte-paroles des collectivités. Et d’ajouter : « Cette même personne était partie voir le chef de l’Etat qui l’a renvoyée vers nous, les propriétaires terriens. Elle était venue, après discussions, sans avoir eu gain de cause, elle était repartie voir les responsables du Cadastre. Et on vient nous intimer l’ordre de quitter sans préavis, puisque les lieux sont baillés ». Sur pied de guerre, les collectivités ne veulent pas se laisser faire. Au risque de leur vie, elles se mobilisent et appellent à la résistance.

Visages fermés, réunies samedi dernier pour se faire entendre une fois encore, les victimes ont durci le ton. Elles se disent déterminées à faire blocage à l’arbitraire. « Nos souffrances et calvaires perdurent. Le peuple Bè est bafoué, car l’avenir de nos enfants est en péril. Puisque l’Etat continue d’exploiter notre patrimoine foncier sans nous consulter, ce qui constitue une violation de nos droits, de notre dignité et de la Constitution, notamment à son article 27 qui statue sur le droit de propriété. Il ne peut y être porté atteinte que pour cause d’utilité publique légalement constatée et après une juste et préalable indemnisation. Mais hélas, bientôt 40 ans, rien n’a été fait à propos. Face à ce constat, nous demandons à l’Etat de prendre ses responsabilités. Aucune démarche d’exploitation de notre domaine ne serait plus tolérée jusqu’à ce qu’une issue consentie et acceptée ne soit trouvée entre l’Etat et nous », a pesté M. Vessou.

« Nous ne voulons plus qu’on vienne morceler nos terres. On nous a expropriés beaucoup pour construire le stade, le siège de la Ftf, les centres de santé, sans qu’on ne soit indemnisé. Et aujourd’hui on continue encore. Nous voulons récupérer notre bien, notre terrain, le seul héritage, la seule richesse qui nous reste aujourd’hui. Nous le ferons. Peu importe ce qui peut nous arriver », a renchéri une victime.

« Regardez là où nous habitons. Regardez les conditions de nos enfants, l’état dans lequel ils sont. Ici nous vivons dans la misère. Ils sont en train de confisquer tout notre terrain. On n’a plus rien. C’est seule cette terre que nous avons à cultiver pour vivre. Mais on veut tout nous prendre. Où veulent-ils qu’on aille ? Où ? On nous refuse de travailler sur le terrain. Et depuis, on le morcelle sans rien nous dire. Nous, on ne va plus céder », nous a confié Koudolo Amevon, un autre porte-parole des collectivités propriétaires. « Nous demandons à l’Etat de nous rétrocéder nos terrains qu’il a expropriés il y a 40 ans », a réclamé Komi Kowuvi, membre des 76 collectivités. « A chaque fois, on est surpris de voir des individus se réclamant de l’Etat venir morceler les terres à des fins que l’on ignore. On nous refuse toute opération sur le terrain. Nous, nous allons procéder au lotissement du terrain, même au risque de notre vie. On est prêt à mourir. C’est fini, maintenant plus personne ne touchera à notre terrain. Les 352 ha 66 a 44 ca restants nous appartiennent », prévient M. Amevon.

« Regardez, dans tout ça, il n’y a que des murs en banco. Si on te voit avec un paquet de ciment, tu as des problèmes », a expliqué une source qui requiert de l’anonymat.

Source : L’Alternative No.592 du 21 Février 2017

27Avril.com