Togo, Corruption, Médiocratie, Médiacratie : Les béquilles du pouvoir de Faure Gnassingbé ?

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« La liberté de la presse ne s’use que quand on ne s’en sert pas » – Le Canard enchaîné

Le Togo n’en finit pas d’étonner le monde. Il y a certes bien longtemps qu’une grande partie du peuple togolais semble étranger dans son propre pays, voire déraciné, tant le système politique en place les opprime et les empêche d’affirmer leur autodétermination. La souveraineté du peuple est donc bien un leurre dans ce pays.

Togo, Corruption, Médiocratie, Médiacratie : Les béquilles du pouvoir de Faure Gnassingbé ?

Aussi étonnés que les togolais croient l’être chaque fois que, dans un crescendo continu, le pouvoir pluri-décennal des Gnassingbé étale ses frasques sans honte, aux yeux du monde, l’incompétence et la médiocrité n’en finissent pas de prendre des proportions surréalistes. Le pouvoir de Faure Gnassingbé s’en prend-il encore à la liberté de la presse ? Il faut croire que oui.

Il en est ainsi de la toute dernière décision  de retrait de fréquences d’émission infligée à La Chaine du Futur (LCF) et Radio City Fm,[ 2] deux organes de presse appartenant au groupe Sud-medias, prise par la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) et son président, Pitang TCHALLA, membre éminent du parti au pouvoir RPT/UNIR et inamovible homme à tout faire multifonctions, soit au sein du gouvernement soit alternativement à la tête d’institutions de la République togolaise. Alors, faut-il museler les journalistes indépendants pour s’éterniser au pouvoir ? That is the question !

1. La Chaine du Futur et radio City fm reduites au silence : 80 personnes au chômage sont victimes d’abus de droit

Pitang TCHALLA a toujours gravité dans les cercles du pouvoir au Togo et particulièrement dans l’audiovisuel où il a effectué à des fonctions diverses toute sa carrière. Après avoir dirigé la télévision publique il devint Ministre de la Communication sous la présidence d’Etienne GNASSINGBE EYADEMA, le père. Puis après avoir bien servi le Père, devint conseiller à la présidence pour servir le Fils, Faure GNASSINGBE, jusqu’à sa nomination par décret présidentiel, signé le 26 mai 2016, comme nouveau président de la HAAC.

La fébrilité qui animait Pitang TCHALLA depuis l’automne 2016, préfigurait la sanction infligée à la chaine de télévision La Chaine du Futur (LCF) et la station Radio City Fm. Ce nouveau  diktat de la HAAC à l’encontre de deux médias audiovisuels semble indiquer que la récente nomination de Pitang TCHALLA correspond à une mission de service commandé.

À l’heure ou ces lignes sont écrites aucune explication plausible hormis celle de n’avoir pas rempli les « formalités préalables d’autorisation », n’est apportée sur les motifs réels de l’interdiction d’émettre faite aux deux organes, ce qui est la moindre des choses pour une décision aussi grave. Le motif de non-conformité semble pour le moins fallacieux dans la mesure où ces deux médias émettent à Lomé depuis 10 ans, sous le contrôle de la HAAC.

Le fait que ces deux médias appartiennent au groupe Sud Media de Pascal BODJONA, inciterait à penser que le seul motif de la décision soit de « punir », l’ancien ministre de l’Administration territoriale, remis en liberté il y a un an jour pour jour après avoir passé dix-huit mois dans les prisons de Faure GNASSINGBE pour une rocambolesque affaire d’escroquerie. Certains n’hésitent pas à parler de « règlement de compte » entre Faure GNASSINGBE et Pascal BODJONA et d’une motivation purement politique, puisqu’il est prêté à ce dernier, l’intention de vouloir briguer la Présidence de la République en contrôlant certains médias. Rien de nouveau donc sous le soleil togolais dans la mesure où sous le règne des GNASSINGBE les atteintes à la liberté de la presse ont toujours été fomentées pour des raisons politiques. Il y a peut-être un autre motif collatéral. Pitang TCHALLA  est aussi un homme de l’ombre, qui a très activement participé, en son temps, à la création de la chaine de télévision privée TV2, chaine dans laquelle il ne serait pas surprenant de le voir figurer encore dans l’actionnariat. Aurait-il ainsi fait d’une pierre deux coups : rendre service à son maitre Faure GNASSINGBE et éliminer un concurrent commercial ?

Mais lequel de ces politiciens s’intéressent au sort du peuple togolais ? Aussi, au-delà des « bisbilles » entre gens de la caste, les premières victimes vers lesquelles doit d’abord se manifester la solidarité, ce sont les 80 personnes employées par le groupe Sud-Media dans ses deux organes de presse, qui pointent aujourd’hui au chômage forcé.

2. Un mauvais coup graduellement et minutieusement préparé

Il n’y a donc pas lieu d’être surpris par une décision pour laquelle Pitang TCHALLA, le président l’autorité de régulation des médias et de la presse, avait par avance formaté les esprits. En quarante ans d’exercice exclusif du pouvoir, le clan GNASSINGBE et ses démembrements, semblent être passés maitres dans l’art de l’enfumage et des manœuvres dilatoires.

L’examen de la production administrative de la HAAC depuis l’arrivée de Pitang TCHALLA en tant que président de cette institution, semble fournir des éléments d’appréciation qui concourent dans ce sens.

Dès l’été 2016 le communiqué N° 07 HAAC/16/P du 8 août qui rendait compte d’une rencontre avec les responsables de l’Observatoire Togolais des Médias (OTM), mettait en garde les professionnels des médias : « Par ailleurs, la rencontre a également donné l’occasion à la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication et à l’Observatoire Togolais des Médias, d’inviter les professionnels de la communication au respect de la déontologie et de l’éthique de leur métier en vue de la promotion du professionnalisme, des valeurs citoyennes, de l’unité nationale et de la paix. Un appel à l’union et à la solidarité des organisations professionnelles de la presse, ainsi qu’au renforcement de la confraternité au sein de la profession, a été lancé à cette occasion.» [ 3]  Premier avertissement sans frais !

Un mois après ce premier coup de semonce le communiquéN° 10/HAAC/16/P du 9 septembre se faisait nettement plus menaçant : « Il nous a été donné de constater depuis quelques temps des manquements graves dans la conduite des émissions-débat et interactives sur les antennes de certains médias audiovisuels de la capitale et de l’intérieur du pays. » [ 4] Dans ses remontrances relatives à la violation alléguée des dispositions du Code de la Presse et de la Communication, et la  violation  des principes fondamentaux du journalisme,la HAAC accrochait à son palmarès pas moins de sept organes de presse  dont La Télévision Deuxième (TV2), (sans doute pour faire bonne mesure), Radio Zéphyr, Radio Fréquence 1,  La Chaîne du Futur (LCF), Radio Excelsior d’Atakpamé, Radio Courtoisie et Radio Mecap de Dapaong. Les menaces se faisant cette fois plus précises : « La Haute Autorité condamne ces dérapages, met en garde ces organes et appelle l’ensemble des médias au respect des règles de déontologie et d’éthique de la profession notamment le traitement équilibré de l’information, la sauvegarde des valeurs d’équité et de cohésion sociale indispensables à l’instauration d’un climat de paix et d’un véritable Etat de Droit au Togo. » Deuxième avertissement sans frais !

Puis le 27 décembre 2016, un nouveau communiqué relatif au « respect des cahiers des charges des sociétés de radiodiffusion et de télévision » dans le cadre du renouvellement des conventions pointait du doigt les organes suivants : « Radio BETHEL à Gléï ; Radio La Bonne Nouvelle à Lomé ; Radio CITY FM à Lomé ; Radio DAWUL à Bassar ; Radio Maria à Kara ; Radio Maria à Kpalimé ; Radio la Voix de l’OTI à Mango ; Radio La Voix de Vo à Amégnran ; Radio OCEAN à Aného ; Radio SKY FM à Badou, et la chaine de télévision La Chaîne du Futur » [ 5] La HAAC mettait en garde : « Passé la date du 15 janvier 2017, les autorisations d’installation et d’exploitation et les fréquences qui leur avaient été accordées seront purement et simplement retirées et cédées à d’autres demandeurs, conformément aux procédures prescrites en la matière.»

Ceci appelle deux remarques. Dans sa communication publique, la HAAC formule  ses griefs en termes généraux, voire sibyllins, ce qui lui permet de s’exonérer d’explications détaillées, tant sur le fond que sur la forme quant au respect des règles déontologiques en vigueur, qui pourraient être utiles à toute la profession pour en corriger les errements. On retrouve systématiquement dans les communiqués La Chaîne du Futur. Elle apparait ainsi comme un média qui ne respecterait pas les règles en vigueur de manière récurrente.

Si l’on ajoute à ces éléments, la nomination « officieuse » en tant que conseiller, d’un ancien membre de la HAAC, Sodja Kangni SALLAH – retraité depuis la fin du mandat de l’ancien président Philippe EVEGNON, directement recruté par Pitang TCHALLA, parait-il à ses frais, à l’insu des autres membres de la HAAC, cela ressemble fort à la transformation de l’institution en officine occulte voire en  véritable cabinet noir.

Intuition que semble confirmer la fuite [ 6] survenue la semaine dernière. Elle révèle l’existence d’un courrier de M. SALLAH, en date du 22 décembre 2016 qui précise comment lui et son mentor se sont entretenus sur le dossier de fermeture de médias le 20 décembre 2016. Et l’auteur du courrier donnait des conseils au président de la HAAC, sur la meilleure manière de faire à savoir qu’il serait plus efficace de dépasser le stade d’une procédure administrative ou judiciaire en orchestrant par le biais d’une communication intensive des actions de manipulation et de propagande pour « préparer l’opinion à accepter une fermeture éventuelle de ces médias.»

Une sorte de point d’orgue venant couronner le lent travail préparatoire qui vient d’être analysé. Il parait que depuis la fuite de ce document dans la presse Sodja Kangni SALLAH aurait supprimé ses photos sur les réseaux sociaux et brouillé les pistes de ses contacts. Des choses à se reprocher ?

Concernant le fonctionnement de la HAAC il est permis de s’interroger sur l’absence de La Loi Organique n° 2013-016 votée le 19 février 2013 par l’Assemblée nationale et promulguée par Faure GNASSINGBE le 08 juillet 2013, qui régit aujourd’hui l’institution ; Celle-ci  ne figure toujours pas sur son site internet comme document de référence. Le seul document de référence figurant sur le site est le règlement intérieur, [ 7]définissantl’organisation, le fonctionnement, l’administration, les attributions, les compétences, les modes de saisine,  les mesures disciplinaires, de la HAAC, qui n’a été publié que le 31 octobre 2016, soit trois ans après la promulgation de la Loi Organique n°2013-016.Il existe probablement une relation de cause à effet entre l’absence de la Loi n°2013-016 du 08 juillet 2013, texte essentiel, et le fait qu’au moment son adoption  par l’Assemblée Nationale ce texte essentiel  fut qualifié  de liberticide, accusé de violer l’article 26 de la Constitution de la République togolaise, et à ce titre dénoncé par nombre de partis politiques comme une atteinte grave à la liberté de la presse.

Cette loi confère à la HAAC le pouvoir de retirer le récépissé des journaux, d’interdire les émissions, de retirer la carte de presse, de suspendre l’autorisation d’installation et d’exploitation des médias audiovisuels. [ 8]Elle marque effectivement un véritable recul des libertés publiques, dans la mesure où la date du 30 août 2004 avait célébré la naissance d’un nouveau Code dépénalisant de délit de presse.

Il ne semble donc pas que la transparence, l’éthique et la déontologie soient prêtes à franchir les portes de la HAAC et régir son mode de fonctionnement. La Présence de Pitang TCHALLA à la tête de l’institution, qu’il semble en train de transformer en obscure « officine » du pouvoir, n’augure rien de bon en la matière, sinon pour porter des coups à la liberté de la presse !

3. La réaction publique de Zeus Komi Aziadouvo, membre de la haac : une première fissure dans l’edifice !

Les ficelles utilisées par Pitang TCHALLA, sont tellement grosses qu’elles ont immédiatement provoqué une vive réaction de M. Komi AZIADOUVO, Membre de la HAAC, Président du Comité Presse Ecrite. Dans une lettre adressée le 04 février 2017 au  président de la HAAC, [ 9]M. Komi AZIADOUVO, après avoir rappelé le respect des règles éthiques que lui impose, en tant que membre de la HAAC, la prestation de serment prononcée le 09 juin 2016, devant la Cour Suprême, revendique au nom de la déontologie et malgré l’obligation de réserve le droit de rompre « la loi du silence » afin de ne pas « laisser prospérer l’abus et le non-droit dans notre pays ».  En ce sens il est dans le plus parfait respect de la Constitution du Togo et il est important de le rappeler tellement cette attitude d’indépendance en conscience est rare.

A ce titre M. Komi AZIADOUVO peut être considéré comme un lanceur d’alerte et il convient de saluer comme il se doit son courage. Car au Togo il faut du courage pour oser dire la vérité à ses concitoyens !

Komi AZIADOUVO rappelle à Pitang TCHALLA de manière ferme que « La Haute Autorité de l’Audiovisuel […] est une institution indépendante vis-à-vis des autorités administratives, de tout pouvoir politique, de toute association et de tout groupe de pression » et poursuit « Des devoirs que vous nous avez rappelés lors de la prestation de serment. Ceci étant, nous ne devons ni utiliser cette institution ni manipuler la loi pour régler des problèmes personnels.» On ne saurait être plus éloquent ! Mais surtout il informe les togolais des manœuvres dilatoires employées par Pitang TCHALLA, pour régler des comptes lorsqu’il rappelle qu’à aucun moment une décision de fermeture n’a été prise : « […] nous n’avons, jusqu’à ce jour, pris aucune décision en plénière concernant la fermeture de LCF et de City FM. Et à la conférence de presse tenue le jeudi 02 février 2017 au siège de la HAAC, il n’a jamais été question d’annoncer une quelconque décision de fermeture de ces deux organes de presse qui allait intervenir après le 5 février 2017. D’ailleurs, c’est à cette conférence de presse que certains membres et moi avons pris connaissance du délai du 5 février 2017.»

Il met aussi l’accent sur les incohérences de sa décision unilatérale de fermeture prononcée par Pitang TCHALLA : « Pourquoi la HAAC a-t-elle régulé pendant 10 ans ces deux organes de presse tout en sachant qu’ils n’ont pas d’« existence légale » ? Pourquoi la HAAC, institution garante de l’aide de l’Etat à la presse, a-t-elle toujours accordé cette aide à ces organes qui n’auraient pas d’« existence légale » ? Et il donne le coup de grâce lorsqu’il rappelle que : « Au regard de la loi, ce qu’on peut appeler l’« Affaire LCF et City FM » n’existe pas. » […] « Contrairement aux informations qui circulent, les dossiers déposés par les responsables de LCF et City FM en 2012 et 2015 sont à la HAAC et ont été étudiés. […] les dossiers de ces deux organes de presse sont techniquement au point.» Si le dossier est « techniquement au point » c’est donc qu’il faut chercher ailleurs les vrais motifs de fermeture !

Ainsi Pitang TCHALLA se retrouve en piteuse position lorsqu’il lui est rappelé « Monsieur le Président, c’est là où se trouve la manœuvre qui, si on n’y prend garde, risque de mettre en péril la liberté de presse au Togo. » […] « J’en appelle à votre sagesse afin que vous nous aidiez à traduire effectivement dans les faits les engagements que nous avons pris en prêtant serment devant votre haute juridiction. Notre pays qui s’est engagé dans une nouvelle dynamique et qui fait face à plusieurs défis, n’a pas besoin en ce moment de ce coup de force.»

Komi AZIADOUVO, honnête membre de la HAAC, en portant la lumière sur la forfaiture du président de la HAAC, fait éclater la vérité qui pourrait provoquer l’étincelle salvatrice pour éventuellement donner le coup de balai qui s’impose à la tête de l’institution. Les questions de probité et d’éthique sont des principes étrangers Pitang TCHALLA, un des rares caciques du RPT/UNIR encore en service auprès de Faure GNASSINGBE, pourtant formé à l’école du « vieux »,  c’est-à-dire à régler les affaires davantage par la force que par la conciliation et le respect de la justice et de la déontologie.

Mais il convient d’être réaliste et de ne point trop rêver tant l’histoire du Togo nous enseigne que le pouvoir des GNASSINGBE de père en fils, a toujours entretenu des relations exécrables avec la presse et les médias en général, dès lors que celle-ci s’avisait de dénoncer ses abus de pouvoir.

4. Chicoter les journalistes : Une tradition aussi ancienne que la dynastie Gnassingbé !

La question des rapports du pouvoir avec la presse, semble être une question récurrente au Togo. Après les indépendances des années 1960, les pays d’Afrique qui consacrent l’avènement du parti unique, voient le pluralisme de la presse s’étioler.  Le Togo n’échappe pas à la règle. Certains titres, Les Échos du Togo, Notre Combat, ainsi que d’autres journaux disparaissent progressivement. En 1962 l’Etat lance Togo-Presse hebdomadaire avant qu’il ne devienne quotidien. Comme dans toute l’Afrique francophone, l’indépendance au Togo est donc marquée par la restriction de la liberté de presse et le quasi-monopole des médias gouvernementaux au nom de « l’union nationale ».

Rappelons qu’Etienne EYADEMA GNASSINGBE interdit les partis politiques du Togo en 1967 pour créer en 1969 « son » parti unique, le Rassemblement du peuple togolais (RPT).

Le rôle des médias d’État devient alors prépondérant. De Radio Lomé (créée en 1953), à Togo-Presse, en passant par la Télévision togolaise (TVT) lancée en 1973, le journalisme est au service de la propagande du RPT et de son chef. EYADEMA apparait à la une de Togo-Presse dont le travail  journalistique se cantonne à la publication de communiqués, déclarations officielles, et au culte de la personnalité destine quasi-quotidiennement sa une à EYADEMA, instillant insidieusement l’idée qu’il est le seul dirigeant politique du pays. La critique est interdite au point d’être sanctionnée, parfois par la mort du contrevenant.

Après que quelques rares organes de presse, Le Courrier du Golfe ou Forum-Hebdo aient explicitement mis en avant les contradictions et abus divers et variés du, il faudra attendre le tournant des années 1990 et en particulier les travaux de la Conférence Nationale Souveraine qui se tient du 8 juillet au 28 août 1991, jusqu’à ce que le  père Etienne GNASSINGBE EYADEMA siffle « la fin de la récréation, [ 10]  pour voir les lignes bouger quelque peu avec l’avènement du multipartisme et la libéralisation des médias. Mais l’absence de  séparation des pouvoirs, qui perdure encore 26 ans plus tard, limite rapidement ce nouveau multipartisme.

Quant aux médias le faible taux de pénétration de la presse de l’époque les rend peu dangereux pour le pouvoir, même s’il entraine une floraison de journaux privés, véritable «renouveau de la presse ». Les dizaines d’hebdomadaires créés par des intellectuels deviennent rapidement une presse d’opinion dans la mesure où ils sont très proches des nouveaux partis politiques. Très virulents à l’égard du pouvoir, ils rendent compte de l’évolution de la situation politique et font valoir leur capacité de dénonciation, de revendication de justice sociale, clairement engagée contre le RPT. Les  journalistes renouent avec leur véritable vocation : « redevenir un témoin politique et un « acteur incontournable de la vague de démocratisation des régimes politiques.»[ 11] Mais le pouvoir RPT contre-attaque positionnant également des titres à sa solde quasi exclusive reprenant souvent la ligne éditoriale du quotidien Togo-Presse pour ternir l’image des partis d’opposition et déverser à longueur de colonnes des louanges à EYADEMA. Quand EYADEMA quitte le pouvoir en 2005, à la faveur de son décès dans l’avion qui devait le conduire en Israël pour y recevoir des soins, la presse togolaise compte 45 titres, essentiellement une presse d’opinion, très liée aux partis politiques et qui peine à survivre dans un contexte  de paupérisation massive de la population.

Dans ce contexte, le fils d’EYADEMA GNASSINGBE, Faure GNASSINGBE, accède au pouvoir une première fois en février 2005 à la faveur d’un coup d’Etat institutionnel fomenté par les militaires, puis obligé de se retirer sous l’influence des pressions internationales, une deuxième fois en avril 2005 lors d’une élection présidentielle usurpée, qui va entrainer un déchainement de violences avec près de 800 morts estimés dans le rapport d’une commission d’enquête de l’ONU et près de 45.000 exilés dans les pays limitrophes du Togo : Bénin, Ghana, Burkina Faso et Côte d’Ivoire.La réalité des chiffres reste à confirmer compte tenu des nombreuses disparitions de preuves.

Une entrée en fonctions qui augure mal des conditions d’exercice des libertés publiques au Togo et ouvre une période qui jusqu’à présent se révèlera tout aussi contraignante à l’égard de la presse que le furent les trente-sept années de règne d’Etienne GNASSINGBE EYADEMA.

De multiples atteintes à la liberté de la presse ont jalonné la Présidence de Faure GNASSINGBE depuis son accession au pouvoir jusqu’à ce jour.

Le mardi 10 août 2010 à Lomé, la capitale du Togo est le théâtre d’une scène digne du plus pur colonialisme qui se déroule en marge d’une confrontation entre manifestants et gendarmes togolais.  Ce jour-là, Didier Ledoux, journaliste du quotidien Liberté fut sérieusement malmené par et la gendarmerie togolaise et un colonel de l’armée française, Romuald LETONDOT, dont on se demande ce qu’il pouvait bien faire en cet endroit. Une vidéo en ligne sur Youtube [ 12] relate les événements témoigne du caractère carrément néo-colonialiste de l’intervention :

Militaire :« Tu sais qui je suis ? Je suis le conseiller du chef d’état-major de l’armée de terre. Tu veux que j’appelle le RCGP [Régiment des commandos de la garde présidentielle, ndlr] pour foutre un peu d’ordre là-dedans ? Alors, je demande d’enlever les photos. Est-ce que c’est compliqué ? » Epaulé de gendarmes togolais casqués, matraque à la main, l’officier menace le journaliste, Didier Ledoux, bien connu au Togo, portant un gilet avec le mot « presse » écrit en énorme, fourni par les Nations unies.

Militaire :« Tu veux qu’on te donne un coup sur l’appareil ou quoi ? » Un peu plus tard, face aux protestations du journaliste qui proteste qu’il fait son boulot, l’officier lui rétorque

Militaire :« je m’en fous », puis dit à l’un des gendarmes, sur un ton autoritaire : « Tu le mets en tôle ». (Voir la vidéo) [ 13] Puis le 25 août 2010 se déroulaient simultanément sept procès contre des organes de presse. Etaient convoquées devant la justice les rédactions de six titres : Tribune d’Afrique, L’Indépendant Express, Magnan Libéré, Forum de la semaine, Chronique de la semaine, Radio Victoire. Dans la même période les quotidiens Liberté et Le Correcteur étaient inquiétés par la justice de même que Golfe Info, condamné à une amende de 80 millions de FCFA. [ 14]

Le 2 juillet 2012, c’est au tour du photoreporter ATAYI Ayi, du journal  Forum de la Semaine  d’être agressé à Lomé, sur le lieu de reportage, un hôtel où il couvrait un conflit opposant des membres d’une communauté aux propriétaires dudit hôtel. A cette occasion la Fédération Internationale des Journalistes (FIJ) interpelle le gouvernement : « Nous appelons les autorités à protéger les journalistes contre les attaques gratuites et à promouvoir un environnement de sécurité aux journalistes afin qu’ils ne deviennent pas une cible facile aux fossoyeurs de la liberté de la presse » [ 15]

Mais comment peut-on attendre de Faure GNASSINGBE qu’il protège les journalistes indépendants, alors qu’il profite de la moindre occasion pour à porter atteinte aux droits fondamentaux de la presse ou  de s’assurer d’asphyxier financièrement et parfois physiquement (kidnapping) les journalistes par des manœuvres dilatoires ?

Le 17 juillet 2012, la HAAC interdit la  parution le mensuel  La Nouvelle  au motif que « des articles comportant de fausses informations, des appels à la haine ethniques et religieuses, l’intrusion dans la vie privée des citoyens, la calomnie et des injures ».[ 16]

Le 14 décembre 2012, Koffi Koba A.B. AKPAKI, le Directeur de publication de La Gazette du Golfe adresse un courrier au président de la HAAC et interpelle l’institution qui refuse la reparution du journal après trois ans d’absence des kiosques sans que le titre « soit « tombé» sous le coup d’aucune loi de la République ni celle de la HAAC.», alorsque le dossier déposé auprès de la HAAC avait reçu l’avis favorable du Président du Comité carte de presse, c’est dire du Vice-président de la HAAC, Donkor BALOGOUN.

Devant l’incurie de la HAAC M. AKPAKI considère qu’il ne lui reste d’autre recours que de s’adresser aux organisations de défense des droits humains : « N’ayant plus d’autres moyens pour me faire entendre et pour que justice me sois faite, j’en appelle aux organisations de défense des droits de l’homme, à celles luttant pour la cause et la défense des journalistes afin qu’ils prennent à cœur ce que je considère ici comme étant une violation de mes droits étant donné que depuis février jusqu’aujourd’hui, l’institution ne m’a pas fait signifier un quelconque rejet de mon dossier. »

Le 25 juillet 2013, alors que se déroule le scrutin des élections législatives, les journalistes de la radio La Légende réalisent une émission à laquelle ils ont invité leurs confrères pour commenter l’actualité et informer la population sur le déroulement des opérations de vote.  Mais aussitôt lancé le générique de fin de l’émission les soldats débarquent dans les studios et ordonnent manu militari la fermeture pur et simple des locaux  ce qui prive de facto la radio de sa capacité d’émettre. Les nombreux auditeurs convergent aussitôt vers le siège de la radio qui devient rapidement un lieu de manifestation pour la liberté de la presse. Il s’en fallut de peu que la situation ne dégénère gravement. Eh bien ! Des investigations menées ultérieurement feront apparaitre que la fermeture de la radio La Légende avait été préalablement programmée par le pouvoir avant le jour du scrutin. Le pire c’est qu’un journaliste de Radio Légende a participé au complot. Sans doute un de ceux que Pitang TCHALLA a pour mission de cadeauter à Noël pour le compte de Faure GNASSINGBE.

Le 7 Février 2017, à peine rendue publique l’annonce de la fermeture de La Chaine du Futur et Radio City Fm, Robert AVOTOR, journaliste du quotidien l’Alternative est l’objet d’une arrestation arbitraire et d’actes de torture caractérisés, opérés par des gendarmes, alors qu’il effectue un reportage à Akato-Viépé, une banlieue de Lomé, sur l’expulsion de riverains prononcée par la Cour suprême, diligentée par une centaine de gendarmes.

Robert AVOTOR raconte : « Ensuite, je leur ai demandé si je peux parler à leur chef. L’un d’entre eux me demande : « Il y a quoi ? ». Je lui ai répété que je suis journaliste. Ils m’ont répondu tous qu’il n’y a aucun chef parmi eux, et qu’eux tous sont des chefs. Et puis, ils m’ont demandé de leur montrer ma carte. Ce que j’ai fait. Ils m’ont dit ensuite : « On ne mange pas la carte ici ». L’un d’eux m’a intimé l’ordre de quitter les lieux. A peine avait-il dit ça qu’il a commencé par me tabasser. J’ai couru. Mais d’autres gendarmes m’ont rattrapé et ont commencé aussi par me matraquer. Ils m’ont ensuite menotté et déposé dans un coin et se sont éloignés. Ils sont revenus quelques minutes plus tard pour me demander l’organe de presse pour lequel je travaille. Je leur ai répondu que je viens du journal L’ALTERNATIVE. Ils m’ont demandé qui est le directeur. J’ai dit que c’est Ferdinand AYITE. Et voici leur réponse : « C’est vous non ? Cette fois-ci on vous a eu. On apprend toujours ce nom. On va te faire sentir de quoi on est capable. Quand vous êtes dans la masse, vous faites du bruit. Aujourd’hui, c’est toi seul ». Ils m’ont laissé dans le coin. Ils m’ont menotté les mains derrière. De temps en temps, ils reviennent pour serrer les menottes. Cela me faisait très mal aux poignets. A un moment donné, j’ai senti le besoin de me soulager. Je leur ai demandé de me permettre au moins d’uriner. Ils ont refusé catégoriquement. J’étais obligé d’uriner dans mon pantalon. Cela les amusait. Ils ont amené aussi quelqu’un qu’ils ont surpris aussi en train de filmer. J’étais là, menotté pendant plus de deux heures. Ils sont revenus me dire que je vais répondre de mes actes à la Gendarmerie. Ils nous ont ensuite menottés ensemble (avec l’autre personne arrêtée) et nous sommes montés dans leur voiture. Arrivés à la Gendarmerie de Sagbado, ils ont effacé toutes les images dans nos portables et appareils. Ils nous ont remis les portables et demandé de partir. Ils ont pris nos identités et nous sommes partis vers 14h30.»[ 17]

Au Togo, d’Etienne EYADEMA GNASSINGE à Faure GNASSINGBE, la récurrence en matière d’atteintes à la liberté de la presse semble être un legs qui se transmet  de père en fils. En est-il de même pour la corruption et la prévarication qui minent la gouvernance du pays ? L’actualité semble le confirmer !

27Avril.com