Science et tradition : Aux origines des jumeaux

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Science et tradition : Aux origines des jumeaux

L’un des phénomènes qui dépassent parfois l’entendement humain est la naissance de deux bébés voire plus en même temps. On le voit bien souvent, une femme enceinte qui accouche d’un, de deux, de trois voire de quatre bébés en même temps. Même la science n’arrive pas à expliquer avec exactitude pourquoi le zygote qui devient un embryon, puis un fœtus et donne un enfant unique, se divise en deux dans certains des cas.

En Afrique, et plus particulièrement dans certaines communautés au Togo, ces êtres, les jumeaux, reçoivent des traitements particuliers de la part des membres de la famille. Ils sont presque déifiés et certains n’hésitent pas à les adorer. C’est d’ailleurs ce qui explique les nombreuses cérémonies qu’on organise pour eux à leur naissance, surtout lorsque l’un deux est « parti chercher du bois de chauffe », comme on le dit dans certaines communautés au Sud du Togo, pour dire qu’il est décédé.

Explication scientifique de la naissance des jumeaux

La science note qu’il y a des faux jumeaux et des vrais. Dans le premier cas, les deux personnes ne se ressemblent pas physiquement. Selon Mme Folly Poovi, spécialiste en santé de la reproduction, en principe, les ovaires libèrent un ovule par mois. Il leur arrive d’en libérer parfois deux qui seront fécondés par deux spermatozoïdes différents au cours d’un même rapport sexuel. Les deux cellules (qui sont en principe des œufs) poursuivent leur cheminement jusqu’à la muqueuse utérine, où elles s’implantent. Chaque embryon développe son propre placenta, et sa propre poche amniotique. Les deux embryons grandissent côte à côte, avec leurs propres annexes, sans aucune communication entre eux. Ces enfants naissent avec un patrimoine génétique différent. Les vrais jumeaux, quant à eux, proviennent de la même cellule-œuf, donc du même ovule et du même spermatozoïde. Normalement, et dans 97% des cas, le zygote ainsi formé ne donne qu’un seul embryon. Cependant, à un moment donné, et sans raison apparente, ce zygote va se diviser en deux et donner deux embryons: on parle alors de vrais jumeaux. En fonction de la date de clivage, on obtient alors plusieurs cas de figures différentes de développement gémellaire, qui peuvent parfois représenter un risque pour les futurs bébés.

Malgré l’existence de ces phénomènes scientifiquement démontrables, les scientifiques ne comprennent pas encore très bien les mécanismes favorisant la naissance de jumeaux. À ce jour, on n’a donc pas identifié avec certitude les facteurs maternels ou environnementaux qui pourraient augmenter leur fréquence. C’est ce qui expliquerait, à en croire nombre d’observateurs, le mystère dont on entoure les jumeaux dans les communautés au Togo.

La présence des jumeaux dans les communautés au Sud du Togo

En Afrique, plus particulièrement au Togo, la tradition n’arrive pas à expliquer la naissance des jumeaux. On pense que ce sont des demi-dieux qu’il faut vénérer par des pratiques qui relèvent parfois de l’insolite. Chez les watchi, on les appelle « venovi » ou « venoviwo » (au pluriel). Le Sud du Togo est connu pour la floraison de ces naissances multiples, selon l’anthropologue Didier Apeto.

Dans un passé encore récent, ces bébés, considérés comme des êtres extraordinairement mystérieuses, ne restent pas longtemps dans les familles qui les accueillent. Soit l’un d’eux « part pour aller chercher du bois de chauffe », soit ce sont les deux. Ce qui amène à recourir au service des devins qui, aux premières heures de leur venue au monde, doivent les interroger. « Etrangers, vous n’avez pas encore de noms, êtes-vous venus nous visiter ou restez-vous avec nous ? Si c’est pour nous visiter, vous pouvez partir de suite, mais si c’est pour être des nôtres, vous êtes les bienvenus » ; voilà la formule par laquelle le devin s’adresse aux jumeaux. Avant cela, il faut donner des prénoms aux enfants en cherchant à connaître qui est le plus âgé (puisque cela ne dépend pas nécessairement de celui qui est sorti le premier). Le devin se chargera de déterminer « l’arbre duquel sont descendus les bébés ».

De nombreuses autres cérémonies sont faites pour souhaiter la bienvenue aux jumeaux dans une famille. Ce sont des êtres dont il faut prendre soin, sinon ils retournent sur l’arbre duquel ils sont descendus (mourir), selon les explications de Paul Messanvi de la communauté Pédah. Et s’il arrive que ces jumeaux décèdent, on interdit aux parents de pleurer, de peur de les mettre en colère, puisqu’en réalité, selon la tradition, ils sont encore très près des vivants. « Pour manifester leur présence parmi les humains, il faut les représenter par une statuette. Dans ses déplacements, la maman doit garder sur elle cette statuette. A la maison, au moment du repas, on doit laisser dans un plat, devant la statuette, une partie des aliments que l’âme de l’enfant viendra manger », raconte-t-il. Au cas où la mère aussi décède, on choisit un membre de la famille pour continuer par donner à manger aux enfants à travers les statuettes. « Je voyais ces genres d’adoration chez ma grand-mère au village lorsque j’étais petit. Si par mégarde elle fait tomber la statuette, elle commence par gémir ou pleurniche presque en disant qu’elle a fait mal au bois. Elle élève la statuette à hauteur de visage, lui donne un baiser et lui présente un millier de fois des excuses. Moi, cela m’amusait quand je voyais ça. Très tard dans la soirée, elle va vers la statuette pour lui demander si elle est rassasiée ou si elle peut ramasser le reste du repas. Elle faisait tout ça avec un esprit d’adoration qui me laissait stupéfait », ajoute Paul Messanvi.

Dans certaines communautés, on élève un autel aux jumeaux (même vivants). Cet autel s’appelle « venovikpo » chez les watchi. Tout un rite précède l’élévation de l’autel. C’est donc le devoir des parents de le faire pour permettre aux âmes des bébés de venir boire et manger sur l’autel. Ceci se compose de la terre cuite, de grosses calebasses, d’une somme de 105 FCFA, d’un petit couteau de fabrication traditionnelle, de coquillages de cauris, d’un rameau de palmier, de tissu blanc, rouge et noir, de deux coqs ou deux poules, selon le sexe des bébés, d’un litre d’huile de palme et de haricot rouge. C’est le parrain des enfants, lui-même jumeau, qui s’occupe de faire l’autel.

En pays kabyè

Kpatcha, Naka, Toyi, Tchao, Sama, Nèmè sont, entre autres prénoms qu’on donne aux jumeaux chez les kabyè. Ce sont les jumeaux qui, à en croire Akezou-Lelou, chercheur sur la culture kabyè, choisissent leurs parents. « Il n’est pas donné à n’importe qui de donner naissance à des jumeaux », indique-t-il. Et d’ajouter : « Les jumeaux ont toujours des exigences. Quand ça ne va pas, on les invoque, ils viennent et ils parlent… Généralement, ce sont eux-mêmes qui donnent les exigences et l’on exécute ». Et comme dans les autres communautés, chez les Kabyè également, « quand les jumeaux viennent au monde, celui qui sort le premier, n’est pas le premier ».

Aujourd’hui, toutes ces considérations ne sont plus prises en compte, surtout avec la modernisation et la floraison des religions chrétiennes. Nombre de gens trouvent inutile de perdre leur temps dans des cérémonies qui, finalement, donnent l’impression de faire d’eux des esclaves pour d’autres dieux que le Dieu créateur. Toutefois, il faut « reconnaître que les mystères de l’Afrique demeurent, et le Togo regorge de ces rites qui sont l’expression même de la diversité de sa culture, une culture bien appréciée au-delà des frontières », conclue Paul Messanvi.

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