Prof Komi Wolou : « Entre ce que dit le Président de la République et ce qu’il fait, c’est l’abîme »

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Secrétaire National du Pacte Socialiste pour le Renouveau (PSR), Professeur Wolou Komi dans un entretien exclusif accordé à la Rédaction de Le Correcteur est revenu sur les vœux du chef de l’Etat, la mise en place de la Commission de Réflexion sur les réformes, la grève des enseignants du secondaire et le bilan de l’année 2016. Dans un style assez fin et fouillé, Professeur Wolou a décrypté l’actualité sans langue de bois. Lecture.

Prof Komi Wolou : « Entre ce que dit le Président de la République et ce qu’il fait, c’est l’abîme »

Quel bilan faites-vous de l’année 2016 au PSR ?

Avant toute chose, je vous remercie de cette occasion que vous m’offrez pour m’exprimer sur la situation de notre pays au début de cette année. Meilleurs vœux à vos lecteurs tout autant et à tous les Togolais.

Le Pacte Socialiste pour le Renouveau continue son travail de sensibilisation et de formation des masses. Sa lutte en vue d’une société plus juste a été poursuivie durant l’année 2016 dans des conditions difficiles en raison des moyens très limités.

J’aurais bien aimé faire un bilan positif de l’année 2016 relativement à la situation du Togo puisque, en ma qualité de citoyen, j’en aurais aussi certainement bénéficié.

Malheureusement, les années passent et se ressemblent au Togo. D’abord, sur le plan politique, les revendications légitimes du peuple togolais sur les réformes constitutionnelles, institutionnelles et électorales sont restées lettre morte face à un pouvoir autiste incapable de s’élever et qui manque d’ambition pour le bien-être partagé. La gestion de l’Etat se fait en marge de toute reddition des comptes, la course à l’enrichissement personnel et du clan constitue une priorité dans l’action publique. L’impunité demeure la règle pourvu que la loyauté au chef soit garantie.

Sur le plan social, la misère fait son chemin. On ne s’interroge pas sérieusement sur la corrélation entre le coût de la vie et le niveau des salaires des travailleurs togolais en général. Des structures étatiques qui bafouent les lois sociales à l’image du Président de la République qui méprise toujours la constitution togolaise et corrélativement les Togolais. Sur le plan économique, plus que jamais, le pays s’enfonce dans l’endettement sans que soit renforcée sa capacité de remboursement.

Comme une personne physique, chaque Etat est naturellement confronté à des difficultés. Mais lorsque pendant plusieurs décennies, un Etat est confronté au même problème, c’est évidemment une cause sérieuse d’inquiétude. Cette situation ne doit, cependant pas être une cause de désespoir mais un facteur de détermination pour que les générations futures n’aient plus à mener le dur combat que ce régime nous impose.

On peut au moins se réjouir de la qualification du Togo pour la phase finale de la CAN. Espérons aussi que les choses se passeront bien. Nos vœux accompagnent les Eperviers.

Votre réaction par rapport au discours du chef de l’Etat?

Nous n’avons pas la même lecture de la situation du pays. Et cela se comprend, nous ne vivons pas les mêmes réalités. Il parle de la production des richesses et de leur partage dans un esprit d’équité alors qu’il encourage l’absence de transparence et l’impunité. La preuve en est qu’il n’a pas encore déclaré ses avoirs et donc ceux qui sont soumis à la même obligation en sont dispensés. Il affirme son souhait d’un peuple uni et travaillant ensemble alors qu’il a lui-même un comportement partisan encore illustré par sa démarche dans la mise en place de la commission de réflexion. Il parle des avancées notables dans le processus de décentralisation qui est le symbole même de l’immobilisme du régime. Entre ce que dit le Président de la République et ce qu’il fait, c’est l’abîme.

Quel regard portez-vous sur les nominations des membres au sein de la commission de Réflexion sur les Réformes et la commission anti-corruption ?

S’agissant d’abord de la commission de Réflexion, il faut observer que dans la logique de l’APG, il doit s’agir d’une démarche consensuelle. Le Président de la République ne peut pas faire comme si l’APG n’existait pas puisque cet accord est intervenu pour régler un problème dont il est la source. C’est son accession brutale en violation de la constitution et les victimes que cette intrusion a occasionnées qui ont conduit à cet accord. Qu’il soit indifférent à l’APG n’est guère étonnant puisqu’il n’accorde pas davantage d’attention à la constitution elle-même. A sa place, j’aurais consulté d’autres institutions, tant politiques, civiles que scientifiques pour des propositions indépendantes en vue d’une composition plus représentative de la commission dans un esprit de rassemblement autour de ce projet. Dans tous les cas, ce n’est pas nouveau, sa volonté a force de loi, j’allais dire de loi constitutionnelle. Je me demande si cette commission n’est pas mise en place pour entériner un travail déjà à terme.

S’agissant de la commission anti-corruption, elle ne peut être qu’un instrument au service de ses desseins politiques. La composition de la commission importe peu. Ceux qui détournent, le Président de la République les connait. Ce dont le Togo a besoin, c’est une réelle volonté politique d’une gouvernance dans l’intérêt général. Tant que cette volonté fait défaut, le reste ne sera que folklore. Le Président de la République lui-même sait que cette volonté lui fait défaut. Si la justice togolaise était réellement indépendante et dotée des moyens nécessaires, cette commission n’aurait même pas sa raison d’être.

Les syndicats des enseignants annoncent une nouvelle grève cette semaine prochaine. Quel commentaire en faites-vous ? Comment voyez-vous l’avenir du Togo en guise de conclusion ?

Les revendications des enseignants sont légitimes. Des gouvernants qui se respectent devraient, dans ces circonstances, engager dès le début des discussions sérieuses en vue d’un accord qui doit être exécuté de bonne foi. En plus du mépris dont font preuve certains membres du gouvernement, le gouvernement, dans son ensemble, semble faire du dilatoire. A mon sens, la catégorie d’enseignants volontaires doit disparaître. Il est le produit d’un défaut de planification pertinente depuis plusieurs décennies. Il y a une sorte d’exploitation inacceptable de ceux qui sont chargés de préparer l’avenir de nos enfants. Alors qu’on les maintient dans la misère, les partisans du régime s’enrichissent par une gestion occulte de l’Etat. Ce n’est pas tout. Comment comprendre qu’il n’y ait pas une traçabilité sans faille des cotisations censées faites à la caisse nationale de sécurité sociale ? La protection sociale est un droit fondamental. Enfin, les primes réclamées sont légitimes. Le gouvernement aurait dû évaluer avec précision les incidences financières et faire des propositions concrètes sur ce qui peut être immédiatement fait et ce qui doit être échelonné. Il ne peut y avoir qu’une radicalisation du mouvement si les enseignants ont le sentiment qu’ils ne sont pas écoutés.

Malgré ces situations peu luisantes, il n’y a pas lieu de se décourager. Nous devons rester debout. Nous devons préserver notre dignité par une résistance à l’asservissement. Cette longue nuit que connaît le Togo annonce sans aucun doute un réveil fulgurant. Le temps est proche.

Propos recueillis par Honoré Adontui.

Source: Le Correcteur N.740 du 09 janvier 2017

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