OTR : Gaperi porté disparu avec quelques milliards en poche, chronique d’un monstre condamné au trépas

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Par un communiqué de conseil extraordinaire des ministres ce samedi, le gouvernement togolais a annoncé le remplacement du Commissaire général de l’Office togolais des recettes (OTR) par Kodjo Sévon Adédjé, jusque-là en charge des douanes. Disparu des radars depuis plusieurs jours, Henry Gapéri a pris soin de partir avec une cagnotte colossale. Sans compter les 23 milliards de malversations suspectés. Chronique d’un monstre qui ne devait que trépasser !

Faisons un petit calcul. Quand on multiplie 34.000 par 12, on obtient 408.000. C’est le salaire annuel d’un togolais au smic. Quand vous le multipliez par 500 (la moitié de 1000), vous obtenez 204.000.000. C’est ce que Gapéri a coûté en 2016 au Togo, hors salaire. 500 ans de travail du Togolais qui est au smic. Ce montant correspond uniquement au confort (logement, électricité, eau, indemnité de dépaysement, etc…). Gapéri n’est plus à Lomé pendant que la décision de le remplacer a été prise. Il est parti avec beaucoup d’argent et une cargaison de malversations dans le dos. Mais il ne sera pas, au regard du deal entre Faure Gnassingbé et Paul Kagamé, inquiété. La présidence rwandaise a déjà demandé au président togolais de gérer cette affaire avec « la dignité et la délicatesse nécessaires », en matière de mise en garde diplomatique, on ne peut pas être plus clair.

Décision prise dans son avion

Dans la matinée du samedi encore, le président togolais, Faure Gnassingbé y réfléchissait dans l’avion qui le ramenait de Rome où il a fait un check-up de routine après une visite d’amitié et de travail en Egypte. Ayant séjourné dans la capitale des pharaons, le président togolais a tenté de réchauffer les relations plus ou moins en forme avec son homologue égyptien qu’il a invité par ailleurs au sommet Israël-Afrique qui se tiendra à Lomé en octobre prochain. Et comme il le fait plusieurs fois par an depuis quelques années, il a fait un détour en Italie pour s’assurer que sa santé, déjà déficitaire et très capricieuse, ne se plaigne pas des périples qu’il a enchaînés depuis fin janvier. Peu avant son départ, plusieurs notes de renseignement lui font cas de suspicions qui pèsent sur une société qui a pourtant atteint, à en croire ses récents rapports, 99% des perspectives établies pour l’année 2016. Il s’agit de l’Office togolais des recettes (OTR) qui rassemble à la fois la direction générale des impôts et celle des douanes et droits indirects. Une trouvaille de l’ancien ministre des finances, Otheth Ayassor pour capitaliser les recettes et boucher quelques pores de détournements. Il n’en sera rien. Grand voleur devant l’Eternel, ce jumelage précipité des deux poumons de l’économie togolaise n’a fait que permettre au controversé ministre devenu influentissime conseiller d’alourdir ses paradis fiscaux qui avait déjà des plombs dans les fesses, excès de billets oblige. Car l’unité de mesure des coquins vols et pots-de-vin de ce ministre est en « ards », « milli-ARDS ».

Comme il le fait pendant ses voyages le plus souvent, le président togolais échange avec les officiels qui l’accompagnent et cède à ses instincts d’humour dans la petite salle confortable qui lui sert de séjour…, un verre d’eau dans la main. Son stylo noir de luxe lui permet de griffonner quelques notes. Jusque-là, il est le seul à savoir qu’à son atterrissage, un conseil de ministre remplacera le Commissaire général, presque porté disparu depuis quelques jours. A son arrivée, s’en suit le conseil des ministres au début duquel il plante lui-même le décor. Il donne quelques détails et annonce sans débat que l’intérim sera assumé par le commissaire aux douanes. Entre temps, il fera parvenir quelques notes écrites à la main à son premier ministre, personne ne saura peut-être jamais le message que porte le mystérieux bout de papier jaune.

Stratagème de Gapéri

Loi 2012-016 portant création de l’Office Togolais des Recettes a suscité une grande polémique dans tout le pays. D’abord parce que Ingrid Awadé, très intime au président de la République et qui tient d’une main de fer la direction des impôts, entre astuces mafieux et détournements allègres, a manipulé opinion et services secrets comme elle a pu. Ensuite, le projet en lui-même n’avait de clarté que le fait d’être une copie collée du système rwandais moins adapté au Togo qui ne dispose pas de système de contrôle informatique fiable. Mais le ministre des finances y pousse le chef de l’Etat. Otheth Ayassor élimine non seulement, ainsi, une rivale de tous les temps, Mme Awadé, mais récompense aussi son réseau rwandais qui prenait progressivement le contrôle de l’administration togolaise. Ce réseau lui a permis, entre chantages et pressions, de rester à la tête de l’argent public pendant une décennie. Les choses vont très vite. L’OTR est fonctionnel. Mais il posera, très tôt, un problème de souveraineté. Avec l’influence personnelle de Paul Kagamé, président du Rwanda pour qui Faure Gnassingbé voue une admiration sans pareille, Gapéri a les mains libres pour faire ce qu’il veut. Les grands pans du système informatique, les consultants les plus importants, les principaux cabinets partenaires, tous est rwandais. Ce qui permet, pour les salaires, émoluments et autres indemnités, de déporter mensuellement vers Kigali entre 5,6 et 7 milliards de cfa selon diverses sources. Sans compter la branche canadienne de Gapéri, minée d’espions rwandais, là aussi. Et comble du ridicule, les recettes ne vont pas toutes directement au Trésor togolais. Une ramification complexe est mise en place pour entraîner une partie de compte en compte, permettant à des intermédiaires invisibles et réseaux particuliers de tirer quelques bénéfices. C’est sans compter le train de vie dispendieux du Commissaire général au dos des finances togolaises et les folles indemnités qu’il accorde à son service fictif de protocole et à son interprète alors que la logique voudrait que la condition préliminaire pour postuler à ce poste soit de parler français. Le mystérieux rwandais qui a fait une partie de ses études au Québec (province francophone du Canada) parle et travaille essentiellement en anglais. Qui pis est, quelques jours avant de partir, il a craint un audit prévu par le gouvernement et qui le suspecte de diverses malversations évaluées à 23 milliards. Sans compter de faux bons de commandes (payés avant livraison) dont le montant total avoisine 3 milliards.

La fin d’un monstre

Avant la décision du gouvernement et alerté par les services secrets rwandais qui dispose d’un abracadabrantesque labyrinthe dans tout le pays et surtout dans l’armée togolaise, Gapéri Henry était déjà hors du territoire togolais. Avec plusieurs cartons de documents qu’il a réussi à emporter, bien qu’il soit, depuis septembre 2016, sous haute surveillance de l’Agence nationale des renseignements (ANR) qui mobilise pas moins de 49 agents à ses trousses et qui le suivent en permanence. Inimaginable d’autant que Faure Gnassingbé lui-même a donné des consignes fermes pour qu’il ne soit pas perdu de vue. Mais le filou a pris la clé des champs si ce n’est celle de la forêt. Très proche de Paul Kagamé qui aide depuis 8 ans le Togo à asseoir un système efficace de renseignement et a conclu avec le président togolais un accord tacite de « non-agression et de soutiens réciproques » pour rester le plus longtemps au pouvoir, Gapéri n’a pas grand-chose à craindre. Il pourra même, si son petit réseau de filles-de-joie le tente, revenir bander sur les côtes loméenne, car Georges Brassens ne dit-il pas souvent, « Oh bandaison, quand tu nous tiens ! » ? Il n’y a que pour ça qu’on prend le plus de risque, il paraît. En attendant, entre son château canadien et son palace de folie au sud-est de Kigali, Henry Gapéri peut égrener des jours tranquilles : l’impunité, c’est notre fiat au Togo.

MAX-SAVI Carmel
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