Le point de Kodjo Epou : Rien à célébrer

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Qu’ont-ils à célébrer, les Togolais? Quand on touche le fond et pioche dans les tréfonds, à la recherche d’un avenir radieux qui, chaque jour, s’éloigne, on ne fête pas. On réfléchit à son sort. L’image n’est pas outrancière car, à Lomé, il n’est nulle part visible une autorité soucieuse de sa mission, capable d’amener à un consensus national. Les ravages du statu quo sont étendus. Et pour survivre, le Togo fait la manche, mendie et s’endette, plus dépendant de l’extérieur qu’il ne l’était en 1960. Les effets sont légion. Le Vo, les Lacs, le Yoto : en voilà des localités minières, aux portes de la capitale, parmi les symboles hautement figuratifs de l’échec cuisant du régime, après 57 ans d’indépendance dont 50 sous le père, le fils et les esprits sataniques qui les jouxtent.

Le point de Kodjo Epou : Rien à célébrer

Il y a de l’infernal, du littéralement insupportable dans la situation actuelle de l’état togolais, quelque chose de fondamentalement déshumanisant dans l’aveuglement d’un pouvoir qui ne sait agir et réagir, dans le but de se maintenir contre vents et marées, qu’en monstre sanguinaire, en extraterrestre au biceps replets, aveuglé et assourdi par ses propres tares. Il y a du sacrilège, du contre-nature atroce dans les discours, les décrets et les actes. Notre président qui est venu au pouvoir pour effacer de nos mémoires le malheur que son père a été pour le Togo, a fini par le faire passer pour un doux démocrate, un grand batisseur dont il suit les pas. Il y a quelque chose de rance, de fétide, de totalement immonde dans les indiscrétions concernant la nouvelle constitution qu’Awa Nana et son groupe d’intellectuels dévoyés cuisinent pour un prochain référendum. Qu’est-ce qu’elle a fait aux dieux, cette terre togolaise cent et une fois maudite? Pourquoi en sommes-nous là?

L’évident, c’est qu’il sera difficile, très difficile, aux Togolais de combler le grand retard qui les empaille dans un âge de pierre, qui les caricature en citoyens de troisième zone et les empêche d’avoir des ambitions pour demain. Après cinquante ans de RPT/UNIR et pendentifs, le Togo va très mal. Traînant années après années, un pouvoir plus improductif que désert. Malgré ses promesses, Faure creuse plus profond le gouffre, gouvernant comme on le lui a appris : une caserne pléthorique, une police politique, une justice couchée, une intelligentsia subordonnée, une milice carabinée. Cette structuration machiavélique de la société a fait plonger le Togo là où les autres pays de la sous région sont en pleine mutation, où les dictateurs amateurs de viande fraîche et de paupérisation systématique de leurs peuples sont de plus en plus rares. Aucune écriture de fierté sur le tableau. Les échecs, bien que patents, sont transformés en hauts faits alors que la misère traîne les familles plus bas que terre. On a envie de se couvrir le visage pour ne pas voir les ravages perpétrés pendant 50 ans par la famille Gnassingbé.

Pour humer l’air de la pauvreté que cette famille et ses soutiens ont répandu sur le Togo, il suffit de visiter les localités de “Vo” et des “Lacs”. Non loin de la capitale, au Sud-Est du pays. C’est dans cette région que le RPT a extrait et exploité, pendant toutes ces années, les phosphates, alors poumon de l’économie nationale. Les habitants, en échange de la manne minière que leur sol a offerte au pays, n’ont reçu que la paupérisation. Leurs conditions de vie (l’agriculture) et de survie ( l’environnement ) en sont totalement détruites. A Vogan, l’hôpital ressemble à une vieille chaumière laissée à l’abandon, décrépie, le lycée, à une bicoque de métayers perdue au fond d’une ferme agricole. Les rues de la ville, très souvent coupées en petits tronçons à peine praticables en saison pluvieuse, sont assimilables à des pistes rurales privées d’entretien.

Le RPT a été incapable d’offrir les moindres infrastructures de base à la région minière. Aujourd’hui, au Togo, l’industrie phosphatière a fait faillite. D’abord OTP, ensuite IFG et puis SNPT, elle a été saignée à blanc. Peu importe l’appellation. Selon une anecdote très répandue, les villageois raillent, “comment peut-on vendre du sable et faire faillite ?” Où est passé l’argent des phosphates? Il s’est évaporé. Dilapidé dans l’entretien du train de vie d’un régime dont les barons, anormalement riches, n’ont jamais connu les chemins de la sobriété. Quant aux pauvres villageois spoliés, ils devront se contenter de fausses promesses sans cesse renouvelées, et de faire face, en plus des dégâts écologiques immenses, aux effets pervers de l’expropriation de leurs terres. “Vo” et les Lacs sont les preuves irréfutables d’une gouvernance catastrophique. “Yoto”voisin n’est pas mieux loti. Son calcaire a subi la même filouterie organisée.

Mais l’échec le plus cuisant du régime cinquantenaire a été celui de la révolution verte engagée tambours battant dans les années 80. La mobilisation et l’adhésion populaire autour de ce projet ont été fortes. Mais très rapidement, alors que Eyadéma avait tout pour “mettre le Togo en orbite ”, le mot d’ordre “auto-suffisance alimentaire pour tous en quantité et en qualité” a pris du plomb dans l’aile pour être du vide et du vent vendus sans scrupules – la corruption est passée par là – aux pauvres paysans devenus plus malnutris que pendant les années ayant suivi l’indépendance. Le Togo, sur le plan agro-pastoral, a périclité pour devenir, à l’orée de 1990, importateur de tomate Burkinabé pour sa consommation locale et exportateur illicite de cacao ghanéen pour gonfler les chiffres de ses cultures de rente. Les conséquences de cette faillite retentissante se ont affiché leurs effets dévastateurs des années plus tard: la campagne togolaise s’est vidée de ses bras valides au profit de Lomé où le métier de Zémidjan est perçu par la jeunesse déboussolée comme une panacée. Lomé, une capitale foutoir, démesurément surpeuplée, carrefour privilégié des plus dangereux malfrats que compte la sous région.

Le pays court, à grands pas, vers des lendemains incertains mais cela n’arrête pas le régime RPT de se payer le luxe de l’intransigeance, de l’insouciance, très souvent, de désinvolture, en prenant de faux engagements juste pour tromper le monde extérieur. Alors que le Togo a besoin d’un véritable assainissement politique, de réformes hardies, se multiplient à loisir les commissions les plus acrobatiques, dessinées avec une barbare asymétrie dans le but de repousser sine die les urgences. C’est ainsi qu’après 50, le pouvoir familial et clanique, faute de victoires à célébrer, s’est réduit à de puériles esquives, derrière ses tas d’échecs, attirant sur le pays la pire des malédictions : celle du chaos. Quand va t-il finir, ce régime? La question est présente sur toutes les lèvres, dans tous les cœurs. N’en déplaise aux affidés, la fin du système failli est bien le souhait le plus ardent des Togolais, en dépit de la pauvreté qui les traîne plus bas que terre. Les jeunes de la nouvelle génération qu’on peut traiter de paresseuse et de naïve n’ignorent pourtant pas qu’avec ce système pourri, leur avenir continuera de s’écrire en pointillés.

Il se répand de folles rumeurs d’un prochain referendum qui devrait demander au peuple de se prononcer sur une constitution taillée sur mesure. Selon ce plan en fabrication derrière portes closes par un groupe d’intellectuels avariés, redevables au système, Faure devrait voir le compteur de ses quinze ans de gouvernance chaotique remis à zéro avec projection, en sa faveur, de nouveaux mandats à partir de 2020. Une idée débile qui, si elle existe, ne manquera pas de conduire le régime extravagant dont plus personne ne veut vers une extrémité fatale. Aujourd’hui, sous le RPT/UNIR, le Togo grince et demande à être réparé. C’est dire combien la république est remplie de mauvaises odeurs, combien les Togolais sont au milieu d’une catastrophe qu’aucun peuple digne de ce nom ne peut traiter par l’indulgence.

Le point de Kodjo Epou : Rien à célébrer

Que reste t-il des sacrifices des pères fondateurs de la nation togolaise? A l’heure du bilan, rien à célébrer, rien à montrer du doigt avec fierté sous le ciel togolais. Dans de telles conditions, aucune fête n’a sa raison d’être. Ni les 50 ans de gouvernance faillie, ni les 57 ans d’une indépendance trahie. C’est à la renaissance intégrale d’une nation libre et indépendante, d’un peuple affranchi, que les Togolais doivent plutôt réfléchir. On ne célèbre pas la faillite. Moins encore la servitude.

Kodjo Epou
Washington
USA

27Avril.com