La culture togolaise et ses requiem sélectifs

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La culture togolaise et ses requiem sélectifs

Folo et Agbasko, deux des humoristes togolais décédés le 23 juillet dernier (ils sont au nombre de six) des suites d’un tragique accident de route, seront enterrés ce week-end. Ils revenaient du Festival des Evala en pays Kabyè (FEPAK). La nouvelle de leur disparition a jeté de l’amertume dans les cœurs dans lesquels au cours de leur passage sur terre, ils ont donné du sourire. Ce fut un torrent de larmes à la vue des photos de leurs corps sans vie relayés sur les réseaux sociaux. Une messe a même été célébrée pour le repos de leurs âmes. Le gouvernement a annoncé qu’un hommage national leur sera rendu aujourd’hui. Certes, c’est une mort douloureuse mais les pleurs qui s’en suivent donnent à penser que les oraisons funèbres dans le rang des artistes sont dites suivant une géométrie variable.

En effet, il y a quelques semaines, Basile Adeotsi, le président du Syndicat des artistes, interprètes et compositeurs du Togo (SARIAC) a rendu l’âme. Son décès n’a pas suscité autant de désolations comme celle des humoristes. Le fondateur des « Grands Tambours de Lomé » s’en est allé sans tambour battant. Bien avant lui, c’était le célèbre pugiliste togolais Codjo Mensan alias Kpalogo qui a rendu ses gants en début du mois de juillet dernier. Cela n’a pas fait couler autant de larmes. C’était comme si son dernier combat avec la mort s’était déroulé sur un ring derrière lequel il n’y avait que ses proches et ses amis qui assistaient impuissants à la partie durant laquelle la mort lui assenait de mortels uppercuts.

Quelques années plus tôt, la voix de rossignol, le chanteur Kodjo Djanka est mort à l’exil en Côte d’Ivoire. Les appels de levée de fonds pour ses funérailles n’ont pas suscité beaucoup de bonnes volontés. Il est mort presque dans un anonymat malgré son talent qui en a fait des émules dans la musique togolaise et même au-delà des frontières togolaises. On pourrait multiplier les exemples de ces artistes morts sans qu’il n’y ait autant de vallées de larmes comme la disparition de Finiki ; d’autres décès n’ont pas fait couler la moindre goutte de larme de ceux-là mêmes à qui les artistes disparus ont donné du baume au cœur par le biais de leurs talents artistiques. Ce peut-être la faute du déclencheur de torrent de larmes des temps modernes que sont devenus les relais sociaux très prompts à véhiculer des images à faire même vider les glandes lacrymoniales de leur jus naturel qu’est la larme.

Ces requiem sélectifs tendent aussi à banaliser la souffrance des artistes qui sont encore en vie et qui se débattent entre la maladie et la mort. Monia Tchangai a souffert de cette indifférence du milieu artistique lorsqu’elle souffrait d’un mal. Aujourd’hui, la situation d’une artiste est inquiétante. Cela lui a valu d’être remerciée dans le jury de l’émission « 228 T Factor ». Mais personne ne songe à aller à sa rescousse. Cette indifférence est le signe de la division qui règne dans la culture togolaise.

L’exemple le plus récent est celui de l’artiste chanteur Black Joe. Atteint d’un mal qui ronge ses os au niveau de la hanche, ce sont ses amis artistes qui ont fait une levée de fonds pour le soigner. Mais la mobilisation n’a pas suscité beaucoup de réactions dans le milieu culturel togolais.

Tout semble bien indiquer que les artistes fonctionnent selon leurs intérêts délimités par les « pré-carré » très spécifiques. Et le pouvoir en profite pour les maintenir dans un état de mendicité permanent alors qu’avec les moyens d’expression dont ils disposent, les artistes togolais peuvent dénoncer ce qui ne va pas et amener le pouvoir à les considérer à leur juste valeur.

« On meurt toujours de quelque chose », dit l’adage populaire. Mais, il semble qu’une mort tragique provoque des larmes plus qu’une mort paisible ou moins douloureuse dans nos sociétés. Or la mort reste la mort. Elle crée du désarroi et de la désolation. Comme tel, elle ne devrait pas être l’objet d’appréciations à géométrie variable qui tendent à enlever de nous notre qualité d’humain.

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