Interview: Pr. Togoata APEDO-AMAH : Tirs croisés contre FAURE et FABRE

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Enseignant-chercheur, Écrivain, défenseur des Droits de l’Homme, le Professeur Togoata Apédo-Amah, dans un style franc et direct, comme à son habitude, accuse et le parti au pouvoir et l’opposition togolaise d’être responsables du chaos politique que connait le pays depuis des lustres. L’ancien journaliste de la Tribune des Démocrates n’y va pas du dos de la cuillère quand il parle du Chef de File de l’opposition, Jean-Pierre Fabre. Pour une sortie de crise au Togo, il revient sur la nécessité de négocier avec l’armée et dans la foulée, condamne les violations des droits humains et le musellement de la presse. APEDOH-AMAH conclu que la seule opposition qui reste au Togo, c’est le peuple… Interview

L’Indépendant Express : Professeur Apédo-Amah, Bonjour, Quelle lecture faites-vous de la situation politique au Togo ?

Professeur Apédo-Amah : La situation politique se résume au statu quo dans la mesure où les choses ne bougent pas, et l’on ne sent plus l’opposition. Malheureusement, nombreux sont ceux qui font semblant d’être de l’opposition mais sont en réalité au service de la dictature, puisque ce sont eux qui sont partis cautionner dans un semblant d’élection, la présidentielle frauduleuse de Faure Gnassingbé. Donc à partir de ce moment, comme je l’ai toujours dit, il faut l’émergence d’une nouvelle opposition avec de nouveaux leaders qui s’affirmeront en favorisant des situations susceptibles de mobiliser le peuple. Mais les vrais leaders s’imposeront comme les hommes de la situation. On ne se proclame pas leader, on le devient dans le feu de l’action. L’importante abstention de la dernière présidentielle frauduleuse est un avertissement adressé par le peuple togolais aux guignols de l’opposition, complices de Faure Gnassingbé. Ils sont partis cautionner une mascarade en se partageant des centaines de millions du peuple togolais débloqués complaisamment par Faure Gnassingbé sur le budget national.

En 2010, vous déclariez : « Je mets Fabre et Olympio-RPT dans le même sac-poubelle ». Aujourd’hui, avez-vous les mêmes griefs à l’encontre du Chef de File de l’opposition ?

Rien n’a changé, puisque fondamentalement, ils sont toujours complices du RPT. Donc par rapport à ce que je disais en 2010, rien n’a véritablement changé puisque Fabre a proclamé qu’il n’y aura pas d’élections sans réformes, et pourtant il était le premier inscrit comme candidat. Donc vous voyez que les contradictions de ceux qui se prétendent leaders de l’opposition sont accablantes. Ces gens se moquent du peuple. C’est terrible! Et puis qu’entendez-vous par chef de file de l’opposition ? Cette formule vaseuse signifie pour moi chef de file du RPT au sein de l’opposition. Dans ces conditions, je voudrais qu’on me dise quelle différence a provoqué l’implosion de l’UFC au niveau des deux entités que sont l’UFC et l’ANC ? En conclusion : ANC-UFC = même pipi, même caca.

Qu’à cela ne tienne, M. Fabre est le Chef de File de l’opposition et, si vous devez lui donner une note dans son rôle de chef de l’opposition, combien lui donneriez-vous ?

Quelle opposition ? Je ne me reconnais pas dans cette opposition. Des complices du RPT ! Je ne me reconnais pas dans ces gens-là. C’est zéro pointé sur toute la ligne !

Voulez-vous nous dire que M. Jean-Pierre Fabre est complice du régime ?

Totalement ! Parce que la dernière élection présidentielle a été une escroquerie politique totale. Je n’ai participé à aucune élection en tant qu’électeur depuis 2007. Lors de la présidentielle de 2015, celui qui s’y connaissait en informatique, Alberto Olympio, a voulu examiner l’appareil informatique à fraude. Le RPT-UNIR lui a opposé un refus catégorique et il s’est retiré. Et pourtant ceux qui ne connaissent rien à l’informatique se sont précipités dans cette fraude. Il faut que les politicards apprennent à respecter les Togolais et cessent de nous prendre pour des cons. Nous ne sommes pas plus cons qu’eux.

Maintenant, comment appréciez- vous le front de l’opposition qui se profile à l’horizon ?

Il ne s’agit pas de se rassembler pour la beauté des yeux. Il s’agit de se rassembler pour un objectif précis. Les rassemblements de l’opposition, on en a vu de toutes les couleurs. C’était des ramassis de traîtres, d’opportunistes qui vendaient les sigles de leurs micro-partis, de véritables coquilles vides, des RPTistes crapuleux en rupture de ban, des sous-marins du RPT, etc. En somme, des rassemblements sans principes dont le véritable objectif est le changement des rapports de forces au sein de l’opposition autour des deux ennemis mortels que sont le CAR et l’UFC-ANC. Donc, par rapport à cette réalité, nous ne jugerons, sans a priori, les regroupements de l’opposition que par rapport à la lutte contre la dictature militaro-fasciste du clan Gnassingbé.

Pr. Apédo-Amah, ancien membre du CAR, votre ancien mentor Me AGBOYIBO est revenu aux affaires.

Agboyibo n’a jamais été mon mentor. Si vous en doutez, posez-lui la question. J’ai toujours été un animal politique avec une pensée stratégique autonome en tant qu’intellectuel et combattant de la liberté. Je n’ai jamais eu de mentor de ma vie. La cuisine interne du CAR ne me concerne plus depuis que j’ai démissionné en 2002. S’agissant du retour d’Agboyibo, il est libre de revenir comme de ne pas revenir. Mais il faut parfois savoir se retirer quand il en est temps. Vous savez, en matière d’ambition, il en existe deux types : l’ambition personnelle légitime et l’ambition personnelle qui est nuisible à un groupe ou à la société. Il appartient donc à ceux qui sont les membres de ce parti de juger de l’opportunité de son retour. Quant à moi, cela ne m’intéresse pas.

Comment appréhendez-vous un éventuel 4e mandat de Faure Gnassingbé ?

La ligne est déjà toute tracée puisqu’il n’y a plus de vraie opposition et ceux qui se sont mis en avant, sont les complices du tyran. Donc ils lui ont tracé un véritable boulevard pour un quatrième, un sixième ou un dixième mandat… Les conditions pour qu’il y ait un changement de régime ne sont pas réunies. L’opposition est vendue, il n’y a plus de véritable opposition, donc il y a un boulevard ouvert pour Faure Gnassingbé. La seule opposition qui vaille aujourd’hui, c’est le peuple togolais. Mais le peuple a besoin de partis politiques patriotes qui le défendent pour diriger la lutte. La lutte doit être pensée, organisée, parce qu’il faut une suite s’il y a un soulèvement. Sinon ce ne sera qu’un feu de paille. Le peuple a besoin d’avoir des partis, des organisations devant lui pour mener la lutte vers l’objectif qu’il souhaite, c’est-à-dire la liberté.

Vous avez toujours soutenu que les négociations doivent se faire avec l’armée pour une sortie de crise au Togo. Que doit-on faire concrètement, Pr. Apédo-Amah ?

Je n’ai pas à faire le dessin de ce qui doit se faire. La classe politique est là, la société civile aussi. Il s’agit de prendre contact avec ceux qui sont au pouvoir pour leur dire la vérité. Les forces démocratiques ont invité l’armée à la Conférence Nationale Souveraine, elles doivent pouvoir le faire encore. Il faut leur faire comprendre la nécessité d’abandonner le pouvoir en leur exhibant leur bilan catastrophique de cinquante ans de gouvernance. Après 50 années d’échec du pouvoir militaire, il faut que nous prenions une autre direction parce qu’il faut faire le constat de l’échec. L’échec est flagrant. Eu égard à cette situation, il ne faut plus que l’on fasse semblant de se dire que ce n’est pas un régime militaire parce que on a mis quelqu’un en civil devant. Tout le monde sait ce que c’est qu’un régime militaire. En 2005, quels sont ceux qui nous ont présenté Faure Gnassingbé ? C’est l’état-major des forces de sécurité. Il faut qu’il y ait une négociation. Quand le peuple manifeste contre les fraudes électorales, qui mate le peuple ? C’est toujours l’armée. Donc vous ne pouvez pas ignorer celui qui est au pouvoir pour prétendre changer le pouvoir parce que depuis 50 ans dans ce pays, l’armée demeure l’acteur politique principal. C’est ça la réalité.

Le gouvernement avait annoncé une commission de juristes, de sociologues, d’historiens, de personnalités politiques…, bref une élite pour réfléchir sur la question des réformes. Aujourd’hui, cette commission est installée. En tant qu’Universitaire, est-ce qu’elle est représentative et crédible pour les réformes ?

Non, elle n’a aucune représentativité parce qu’elle n’est pas crédible. Elle a été nommée par Faure Gnassingbé qui est un dictateur. Il n’a fait que nommer ses amis ou ses militants. Donc il aurait fallu un autre type de désignation de ces personnes-là. Mais c’est une énième commission RPT de plus. Ça sert à quoi ? Ce régime a signé plus d’une vingtaine d’accords, ça n’a jamais rien donné. Aucun de ces accords n’a été appliqué. Une commission de plus, c’est pour faire du cinéma. Nous sommes en pleine politique-spectacle au Togo. Donc cette commission, c’est encore un attrape-nigaud de plus pour divertir les Togolais. Le dictateur a-t-il besoin d’une commission bidon pour faire les réformes qu’il sait qu’il doit faire ? Soyons sérieux !

En votre qualité de défenseur des droits de l’homme, quelle lecture faites-vous de la situation des droits de l’homme et de la liberté d’expression au Togo, surtout avec la fermeture de LCF et City FM et la bastonnade du journaliste Robert Avotor par des gendarmes sur un lieu de reportage

Elle demeure préoccupante et c’est une épine dans le pied de tous ceux qui prétendent que Faure Gnassingbé est un démocrate parce que, avec la fermeture de radio X Solaire et de Légende FM et maintenant de deux nouvelles stations, ça fait beaucoup et on ne peut que s’inquiéter et demander que les forces démocratiques, les vrais démocrates se rassemblent pour travailler au vrai changement.

S’agissant du journaliste, il a toute ma compassion, toute ma solidarité. C’est scandaleux et lâche qu’on puisse frapper un journaliste dans l’exercice de ses fonctions. Et ce, en toute impunité ! Ceux qui le frappent les démocrates ont peur de quoi ? Il faut que les gens cessent d’avoir peur. Ceux qui ont peur cherchent à faire peur en recourant à la violence, l’arme des faibles, en tabassant les amis de la liberté. Eh bien qu’ils cessent d’avoir peur et laissent le changement se faire tout simplement dans l’intérêt de tout le monde. La démocratie ce n’est contre personne, les droits de l’homme ne sont contre personne. Ça aide tout le monde, ça protège tout le monde. Regardez tous ceux qui ont toujours menacé les démocrates, les défenseurs de droit de l’homme dans ce pays, quand ils ont été dévorés à leur tour par le monstre qu’est la dictature qu’ils défendaient, leur premier reflexe, a toujours été d’appeler les organisations des droits de l’homme au secours. Il faut que les gens comprennent que le peuple togolais a droit à la liberté. Qu’ils ne refusent pas la liberté, parce que l’arbitraire qu’ils pratiquent pourrait se retourner contre eux demain. Il sera alors trop tard ! Combien sont les barons de ce régime, tombés en disgrâce, qui ont eu à subir des traitements dégradants et inhumains ! Eh bien, c’est les défenseurs des droits de l’homme, les démocrates, les journalistes qui sont allés à leur secours et même leur ont sauvé la vie. Que tous ceux qui se prennent pour des dieux de la terre, réfléchissent un peu plus.

Partagez-vous l’opinion de ceux qui pensent que la situation socioéconomique se dégrade au jour le jour au Togo ?

C’est l’évidence même, c’est une catastrophe. Quand on voit le panier de la ménagère au Togo, il est devenu de plus en plus vide à cause de la cherté de la vie. Tout augmente et les travailleurs sont acculés. Le salaire ne suffit pas. Les étudiants n’ont pas d’aide ou ça vient parcimonieusement. Les Togolais sont dépassés. Quand on voit le train de vie de nos dirigeants, c’est une véritable provocation. Les faux députés de l’assemblée nationale illégitime issue de la fraude électorale, ont eu le cynisme extraordinaire de doubler leurs salaires en oubliant les travailleurs ! Et les soi-disant opposants se sont tus parce qu’il y a à manger. Miam-miam ! Pourvu que ça dure ! Le budget 2017 qu’ils ont présenté est farfelu. Un tissu de mensonges. Quand on sait que la dette que le Togo doit rembourser chaque année est de 400 milliards CFA et que notre dette totale est de 2000 milliards CFA, je crois que la mauvaise gouvernance est bien installée au Togo avec le pouvoir des Gnassingbé. Selon certains organismes contre la corruption, il s’évaderait frauduleusement du Togo 1000 milliards CFA par an, soit plus que le budget national ! L’Etat est dans l’incapacité totale d’investir dans la création de richesses et donc d’emplois pour de longues années. La situation est très grave. Les salaires pourront-ils encore être payés régulièrement ? Telle est la question que se posent les économistes togolais, eu égard aux indicateurs de l’économie togolaise qui sont presque tous dans le rouge. Si ces gens aiment leur pays, ils doivent s’en aller pour que d’autres personnes prennent les rênes du pays avec responsabilité et patriotisme.

Pr. Ayayi Togoata Apédo-Amah, Merci

C’est moi qui vous remercie

Interview Réalisée par M. Sylvestre K. Béni pour l’Indépendant Express N° 403

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