Grand reportage : Cap Lopez, un « territoire » togolais en terre gabonaise.

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Dans presque tous les pays au monde, on retrouve des étrangers qui vivent souvent en communauté. Ceux-ci s’identifient à travers des quartiers ou recoins dont on ajoute le nom de leur pays de provenance. On retrouve également des agglomérations entièrement construites par des expatriés. C’est le cas de Cap Lopez, du nom de ce petit village situé à une trentaine de kilomètres de Port-Gentil, au Gabon.

L’histoire de cette ville est totalement écrite par des Togolais qui ont découvert cette zone inhabitée grâce à la pêche. Depuis 1952 où ce petit village côtier a été construite, il a été et est toujours habité par des Togolais qui ont fini par se sentir comme chez eux. Les familles se sont reproduites au fil des années pour former actuellement une communauté de plus de 500 personnes. Vivant majoritairement de la pêche, les populations de cette localité sont bien organisées, avec à la tête de la société un chef du village. Elles vivent dans une parfaite harmonie malgré les difficultés quotidiennes. Un tour dans la zone nous a permis de découvrir une cité où l’Ewe est la langue principale.

Lopez, le Cap des Togolais

A une trentaine de minutes de route de Port-Gentil, se trouve, au bout d’une route goudronnée un petit village nommé Cap Lopez. A l’entrée de la localité, est située une installation pétrolière de la société française TOTAL. Un village côtier qui, a priori, ressemble fort bien à des centaines d’autres du Gabon et qui a été construit par des étrangers, des Togolais en l’occurrence.

D’après les témoignages recueillis auprès des personnes ressources sur place, c’est en 1952 que le pêcheur Clomégan Michel, originaire d’Agbozomé, une localité du Sud Togo. Celui-ci, dans sa quête de meilleures espèces aquatiques, s’est retrouvé sur la côte gabonaise et a découvert, tel un explorateur, cette zone inhabitée. Il s’installa, d’après l’histoire, dans un premier temps à Dawu, un autre village, avant de fonder et s’installer définitivement à Cap Lopez. Une fois installé, Clomégan Michel fera venir d’autres vagues de Togolais pour pratiquer la pêche et d’autres activités connexes telles que le maraichage et le commerce. En plus de cette immigration, la population est composée des enfants issus des couples formés sur place.

« Nous sommes tous arrivés à Cap Lopez à cause de la pêche. Je fais plus de 30 ans ici. Je me sens vraiment comme chez moi. Presque tout le village parle Ewe et on se comprend bien. J’ai ma famille ici bien que certains de mes enfants soient repartis au Togo pour poursuivre les études. Ma femme fait de petits commerces et du maraichage. On vit relativement bien et on ne se plaint pas», raconte Kokouvi Amekoudi. A la question de savoir si celui-ci ne nourrit pas des envies de rentrer au bercail, il a simplement rejeté cette option avec un léger sourire qui cache un sentiment de désamour pour son pays d’origine. Malgré tout, il y reste attaché. « J’y retourne périodiquement. Parfois deux, trois ou quatre ans après. Tant que j’ai une famille là, j’ai le devoir de les visiter de temps en temps. Mais y retourner pour s’installer, je ne dirai pas jamais, mais ce serait difficile, peut-être après ma mort », a-t-il ajouté.

Il ne manque que le drapeau togolais

Telles les sociétés togolaises, Cap Lopez est à l’image des villages togolais, à telle enseigne qu’un visiteur se croirait en territoire togolais. Tout d’abord, le village est régenté par un chef du village, Clomégan Francis, actuellement souffrant et rapatrié au Togo. Même en son absence, et en attendant la nomination d’un nouveau, il y a un comité qui s’occupe des affaires courantes.

On retrouve également des associations ou regroupements d’entraide. Des cotisations régulières interviennent entre membres. Ces fonds servent à venir en aide à un membre nécessiteux. « Il arrive parfois qu’un membre de la communauté tombe gravement malade et nécessite une prise en charge conséquente. C’est avec les ressources de l’association que nous le soignons. Ces fonds servent aussi pour les rapatriements, soit pour cause de maladie ou de décès », évoque un habitant du village. Sur le dernier aspect lié au rapatriement des cadavres au Togo, il arrive que les dépenses excèdent 4 millions de FCFA.

La pêche, activité principale de la localité, est aussi organisée. « Tout au début, c’était une compagnie qui employait les pêcheurs. Mais actuellement, il y a de petits groupements qui vont en mer pour deux ans avec 2 mois de congés. De retour, les poissons sont directement commercialisés sur place ou à Port-Gentil », affirme Koudamenu Kwami.

Si la majorité des habitants de Cap Lopez ne sont pas prêts à retourner au bercail, c’est essentiellement à cause de leurs conditions de vie qu’ils trouvent plus acceptables qu’au Togo. « Nous vivons bien de nos activités ici. On arrive à prendre soin de nos petites familles. C’est avec les revenus de la pêche que nous payons les frais de scolarité des enfants », témoigne un homme

Le village dispose d’une école primaire. Elle est fréquentée par des enfants togolais, mais qui suivent naturellement le programme scolaire gabonais. Le secondaire ne se trouvant pas dans la localité, les collégiens poursuivent leurs études à Port-Gentil.

Et pourtant !

La vie à Cap Lopez n’est pas aussi aisée comme cela pourrait transparaitre jusqu’à présent dans notre reportage. Comme toutes les autres communautés étrangères au Gabon, les Togolais de Cap Lopez sont confrontés à d’énormes difficultés, surtout celles liées aux papiers. « Nous sommes bien sûr des étrangers ici et nous sommes considérés comme tels. Nous nous établissons des cartes de séjour, et si tu ne l’as pas ou c’est expiré, on se retrouve embêté par les agents de contrôle qui versent souvent dans l’arnaque et les recels. Parfois quand on nous arrête, on débourse de 10 à 30 mille avant d’être relâché. C’est une situation qui nous intrigue, mais nous sommes condamnés à la vivre », déplore un jeune de la localité.

Il faut également relever que cette zone habitée par les Togolais avait été déclarée non habitable, et l’occupation togolaise n’est autorisée que par indulgence. «Comme nous sommes des pêcheurs et que nous n’allons pas faire de grandes constructions, les autorités gabonaises n’ont pas trouvé d’inconvénients à notre installation ici », explique Théo.

Les installations pétrolières de la société TOTAL qui sont dans le milieu ne sont pas sans conséquences sur le vécu quotidien des populations de Cap Lopez. « Nous sommes confrontés à certaines anomalies que nous ne comprenons pas. Nous avons rencontré à plusieurs reprises les responsables de TOTAL qui ont promis la distribution régulière de lait aux populations ; mais on ne sait pas que c’est parce que nous sommes des étrangers que cela ne se fait pas », déplore Mensah, la quarantaine.

« Moi je suis né ici et je suis actuellement en classe de 4ème. Mon école se trouve à Port Gentil. Nous sommes considérés comme des Gabonais à l’école et il n’y a visiblement pas de différence entre nous. Mais j’ai mes frères à Lomé avec qui j’échange heureusement sur les réseaux sociaux. Je ne suis jamais allé au pays, même si cela me tente énormément. En tant que jeune, nous faisons de petits jobs les week-ends. Nous ne manquons pas de grandes choses ici ». Cette réaction du jeune Seth traduit plusieurs réalités dans cette localité. Tout d’abord, ceux qui y sont nés et ont grandi sont assimilés aux Gabonais. Le revers de la médaille est que ceux-ci se retrouvent séparés de leurs frères qui, eux, sont restés au Togo. Ce qui est aussi déplorable est que les parents, dans leur grande majorité, n’arrivent pas, soit par ignorance, soit par refus à établir des documents officiels à leurs enfants nés sur le sol gabonais. « Les gens préfèrent la carte de séjour que de prendre la nationalité gabonaise », confie Josué.

Malgré ce mieux-vivre apparent, la communauté togolaise de cette localité n’est pas épargnée par le fléau de trafic de personne qui sévit au Gabon. Selon des témoignages, il y a des gens qui ont été amenés à Cap Lopez dans le but de travailler et économiser au maximum. Mais une fois sur le terrain, ils sont exploités et ont d’ailleurs des difficultés pour retourner chez eux.

Cap Lopez, quoique situé sur les terres gabonaises, est un territoire de togolais habités par des centaines de personnes qui vivent de la pêche et pour la pêche…

Shalom Ametokpo, de retour du Gabon

Source : Liberté No.2386 du 28 février 2017

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