En Côte d’Ivoire, le président Alassane Ouattara confronté à la grogne sociale

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La Côte d’Ivoire s’imaginait voguer vers « l’émergence » en 2020, le cap fixé par Alassane Ouattara, qui doit rencontrer François Hollande à Paris mercredi 15 mars, comme on navigue sur les lagunes sans vagues d’Abidjan. Depuis l’accession de celui-ci au pouvoir, en 2011, au terme de neuf ans de guerre civile, le récit officiel était impeccable. Le taux de croissance flirte depuis 2012 avec les 9 %, les investisseurs affluent du monde entier pour profiter du « miracle économique », une politique de grands travaux et l’onction internationale accordée aux nouvelles autorités devaient vite faire oublier les convulsions passées.

Or, une mutinerie, qui s’est déclenchée à Bouaké, la capitale de l’ancienne rébellion, la première semaine de janvier avant de s’étendre à une bonne partie des casernes du pays, entame l’optimisme ambiant. « Nos chefs se sont enrichis sur notre dos. Ils sont devenus milliardaires pendant que nous souffrions », dénonce l’un des meneurs des mutins. Après s’être battus pour Alassane Ouattara, ils réclament de meilleures conditions de vie et les primes qui leur auraient été promises avant la bataille d’Abidjan d’avril 2011.

Le pouvoir a cédé aux revendications de la troupe, qui exigeait 12 millions de francs CFA (près de 18 300 euros) pour chacun des 8 400 soldats ex-rebelles. La présidence a débloqué rapidement 5 millions et promet de verser le reliquat à partir de mai. « Le président a vécu cela comme une humiliation », confie l’un de ses proches. « Quand les mutineries se sont déplacées sur Abidjan, on a vraiment eu l’impression que le pouvoir ne tenait plus rien », ajoute une source sécuritaire.

Menace de grèves de la part des fonctionnaires
Ce coup de colère a généré une multitude de spéculations sur ceux qui tentent de profiter de la fragilité des autorités. Tout d’abord Guillaume Soro, l’ancien chef rebelle. La rivalité entre celui-ci, reconduit en 2016 à la tête de l’Assemblée nationale, et le nouveau premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, pour la succession d’Alassane Ouattara au terme de son second mandat, en 2020, est actuellement le sujet le plus commenté par les observateurs de la politique ivoirienne.

Progressivement marginalisé depuis que son nom est apparu comme l’un des soutiens présumés du coup d’Etat échoué au Burkina Faso en septembre 2015, Guillaume Soro a regagné de l’influence à la faveur de la mutinerie. Les anciens chefs militaires de la rébellion ont été replacés à la plupart des postes de commandement mais, selon l’un des proches de M. Soro, « ces nominations pourraient être à double tranchant. En nous confiant l’appareil militaire, on nous charge aussi d’éventuelles répressions ».

Malgré les risques d’une reprise des mutineries, le gouvernement tente désormais de gagner du temps car la contestation sociale s’étend de nouveau chez les fonctionnaires qui, malgré la revalorisation de leurs salaires en 2014, menacent de se remettre en grève dans les prochains jours si près de 380 millions d’euros d’arriérés ne leur sont pas versés.

Un taux de pauvreté de 46 %
« Avec ma femme, qui est aussi douanière, nous gagnons chacun un salaire décent, mais avec la cherté de la vie, le prix des loyers et les demandes du reste de la famille, c’est dur. Nous sommes désillusionnés », raconte François Kouassi, qui avait voté Alassane Ouattara en 2010 mais a choisi de s’abstenir en 2015. Le pouvoir, selon lui, « n’est géré que par des Dioula », les populations du Nord dont est originaire le président.

Malgré l’augmentation de 40 % du salaire minimum, le taux de pauvreté n’est passé que de 51 % en 2011 à 46 % en 2015, et la surreprésentation de cadres du Nord dans les plus hautes instances est de plus en plus ouvertement dénoncée. « On n’a rien fait pour atténuer ces critiques. Il y a besoin de nominations d’affichage », concède un haut personnage de l’Etat.

« La population s’est montrée patiente en se disant qu’elle allait bénéficier de toutes ces réalisations. Mais les applaudissements du début se sont transformés en railleries après la pluie de milliards annoncée par le chef de l’Etat », constate un important homme d’affaires. « On aurait dû arrêter cette communication sur la réussite depuis longtemps. Personne ne peut nier que le pays a progressé, mais aujourd’hui, le gouvernement ne dit rien pour répondre au malaise social », ajoute une source au palais présidentiel.

L’équation est d’autant plus complexe pour le pouvoir que, depuis juillet 2016, le cours du cacao, matière première dont la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial et qui contribue aux ressources de quasiment toutes les familles du pays, a dévissé de 30 %. Selon une note d’analyse confidentielle, « à cause de la crise des exportations de cacao et accessoirement des grèves (…), le niveau des principales ressources de l’Etat est inférieur de 176,8 milliards [de francs CFA] sur les deux premiers mois de l’année. Cette situation provoque une grave crise de trésorerie ».
Vers une période de rigueur

Après les années d’embellie, une période de rigueur est à prévoir alors que s’amplifient les critiques sur l’accaparement des richesses par ceux qui gravitent autour du pouvoir et ne font preuve d’aucune retenue dans l’étalage de leur fortune.

« Nous vivons dans un système de corruption ordinaire qui empêche l’accès aux services de base, et de gouvernance clientéliste antidatée entre les mains de grandes familles, une forme d’oligarchie qui empêche la redistribution des richesses », analyse le sociologue Fahiraman Rodrigue Koné. Selon lui, « si une certaine asthénie politique atteint la société, il existe des risques de pics de violence, comme lors des manifestations contre l’augmentation du prix de l’électricité en 2016 ».

Le président Ouattara a-t-il pris la mesure de la grogne ? « Il est déconnecté de la réalité, s’inquiète une personnalité au pouvoir, sous couvert d’anonymat. Les informations ne lui remontent que par ses ministres, dont certains n’ont fait que s’enrichir alors que la corruption et l’impunité qui l’entourent sont les principaux problèmes. Le président ne fait plus peur depuis qu’il a annoncé qu’il pourrait partir avant la fin de son mandat. En réalité, nous sommes déjà dans la course pour sa succession en 2020 et tout est incertain. »
LeMonde

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